Sommaire
ILes notions d'engagement et de résistance en littératureIILes genres de la littérature engagéeALa poésie engagéeBLe récit engagéCLe théâtre engagéIIILes bouleversements historiques dans la littérature du XXe siècleALes guerres mondiales en littératureBLa société de l'entre-deux-guerres dans la littératureCLes régimes fasciste et totalitaire en littératureDLes auteurs engagés au XXe siècleELe statut de l'œuvre littéraire dans l'HistoireIVAgir dans la Cité : des héros en lutteLes notions d'engagement et de résistance en littérature
La littérature vous jette dans la bataille ; écrire, c'est une certaine façon de vouloir la liberté ; si vous avez commencé, de gré ou de force vous êtes engagé.
Jean-Paul Sartre
Qu'est-ce que la littérature ?, Paris, éd. Gallimard, coll. "La Blanche"
1948
Jean-Paul Sartre affirme ici qu'un écrivain est forcément engagé puisqu'écrire c'est livrer bataille.
Engagement
L'engagement c'est la participation à une œuvre, une entreprise ou une cause. L'engagement implique l'action.
Résistance
La résistance c'est le fait de lutter contre une autorité dont on n'approuve pas les lois ou les règles.
L'écrivain a le pouvoir d'agir sur sa société en étant engagé et en résistant à l'oppression. Un auteur engagé prend part aux débats de son époque. Il peut le faire de différentes façons :
- De façon directe : l'auteur défend des opinions politiques, des causes sociales, des faits ou des idées.
- De façon indirecte : l'auteur aborde ces thèmes dans ses œuvres.
L'écrivain peut donner son avis sur ce qui l'entoure. Le terme de littérature engagée est assez récent, mais de tous temps les auteurs ont participé à la vie de la Cité en tant que citoyen et en tant qu'écrivain.
Au XXe siècle, avec la montée du fascisme en Europe, l'engagement politique en littérature et la résistance contre l'oppression politique deviennent fondamentaux. Certains écrivains, comme Jean-Paul Sartre, affirment que l'écrivain est obligé de s'engager pour défendre des idées. L'écrivain est un individu qui peut agir contre le pouvoir s'il est oppressif. En effet, il a le moyen de dénoncer et critiquer à travers son œuvre.
Ce sont eux qui sont beaux. J'ai eu tort ! Oh ! comme je voudrais être comme eux. Je n'ai pas de corne, hélas ! Que c'est laid, un front plat. Il m'en faudrait une ou deux, pour rehausser mes traits tombants. Ça viendra peut-être, et je n'aurai plus honte, je pourrai aller tous les retrouver. Mais ça ne pousse pas ! (Il regarde les paumes de ses mains.) Mes mains sont moites. Deviendront-elles rugueuses ? (Il enlève son veston, défait sa chemise, contemple sa poitrine dans la glace.) J'ai la peau flasque. Ah, ce corps trop blanc, et poilu ! Comme je voudrais avoir une peau dure et cette magnifique couleur d'un vert sombre, une nudité décente ; sans poils, comme la leur ! (Il écoute les barrissements.) Leurs chants ont du charme, un peu âpre, mais un charme certain ! Si je pouvais faire comme eux. (Il essaye de les imiter.) Ahh, ahh, brr ! Non, ça n'est pas ça ! Essayons encore, plus fort ! Ahh, ahh, brr ! non, non, ce n'est pas ça, que c'est faible, comme cela manque de vigueur ! Je n'arrive pas à barrir. Je hurle seulement. Ahh, ahh, brr ! Les hurlements ne sont pas des barrissements ! Comme j'ai mauvaise conscience, j'aurais dû les suivre à temps. Trop tard maintenant ! Hélas, je suis un monstre, je suis un monstre. Hélas, jamais je ne deviendrai rhinocéros, jamais, jamais ! Je ne peux plus changer. Je voudrais bien, je voudrais tellement, mais je ne peux pas. Je ne peux plus me voir. J'ai trop honte ! (Il tourne le dos à la glace.) Comme je suis laid ! Malheur à celui qui veut conserver son originalité ! (Il a un brusque sursaut.) Eh bien tant pis ! Je me défendrai contre tout le monde ! Ma carabine, ma carabine ! (Il se retourne face au mur du fond où sont fixées les têtes des rhinocéros, tout en criant :) Contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu'au bout ! Je ne capitule pas !
Eugène Ionesco
Rhinocéros, Acte III, scène finale, Paris, éd. Gallimard
1959
La pièce de théâtre Rhinocéros d'Eugène Ionesco met en scène la montée d'un régime totalitariste, tel que le fascisme. Les habitants d'une ville sont atteints de "rhinocérite", une épidémie qui les effraie et les transforme en rhinocéros. C'est une métaphore sur la montée du totalitarisme, à cause duquel les hommes se changent en monstres. L'engagement de l'auteur est visible dans cette dernière scène où il choisit de faire de son personnage principal un héros luttant jusqu'au bout contre la tyrannie et choisissant de résister envers et contre tout.
Les genres de la littérature engagée
La poésie engagée
Les poètes peuvent utiliser leur art pour dénoncer une situation, défendre une cause ou une idée. La poésie engagée a pour but de défendre des valeurs tout en restant artistique. Les valeurs défendues sont :
- La paix
- La justice
- La liberté
- L'égalité
La poésie engagée a été particulièrement importante au moment de la Seconde Guerre mondiale pour lutter contre l'oppression nazie et louer la Résistance.
Le récit engagé
Le récit engagé est un roman souvent court. Cela permet à l'auteur de livrer une histoire percutante. Les récits engagés écrits pendant les périodes troubles peuvent être rédigés dans l'urgence. Matériellement, les auteurs manquent de temps pour travailler à des romans-fleuves.
Je suis heureux d'avoir trouvé ici un vieil homme digne. Et une demoiselle silencieuse. Il faudra vaincre le silence de la France. Cela me plaît.
Vercors
Le Silence de la mer, Paris, Éditions de Minuit
1942
Le Silence de la mer, le premier livre édité aux Éditions de Minuit en France pendant la Seconde Guerre mondiale, traite de l'occupation allemande. Un officier allemand s'installe d'une maison occupée par un vieil homme et sa nièce. Ces derniers refuseront de lui adresser la parole, ce mutisme étant leur forme de résistance. C'est l'officier allemand qui s'exprime dans ce passage. Vercors associe ici résistance et dignité.
Le théâtre engagé
Le théâtre est un genre dans lequel la révolte peut s'exprimer. Il permet d'instaurer des débats entre les personnages grâce aux dialogues. Les différentes motivations et les arguments sont clairement énoncés. Les spectateurs peuvent réfléchir à différentes idées et comprendre les situations des personnages.
ORESTE.
Je suis libre, Électre ; la liberté a fondu sur moi comme la foudre.
ÉLECTRE.
Libre ? Moi, je ne me sens pas libre. Peux-tu faire que tout ceci n'ait pas été ? Quelque chose est arrivé que nous ne sommes plus libre de défaire. Peux-tu empêcher que nous soyons pour toujours les assassins de notre mère ?
ORESTE.
Crois-tu que je voudrais l'empêcher ? J'ai fait mon acte, Électre, et cet acte était bon. Je le porterai sur mes épaules comme un passeur d'eau porte les voyageurs, je le ferai passer sur l'autre rive et j'en rendrai compte. Et plus il sera lourd à porter, plus je me réjouirai, car ma liberté, c'est lui.
Jean-Paul Sartre
Les Mouches, Paris, éd. Gallimard, 1947
Création de la pièce : 1943
Dans Les Mouches, Jean-Paul Sartre reprend le mythe d'Oreste et l'adapte à la situation française, c'est-à-dire l'occupation allemande. Oreste représente le résistant qui assume ses actes, il fait le choix de ne pas se repentir des meurtres qu'il a commis. De fait, il gagne sa liberté et n'est plus gouverné que par lui-même.
Les bouleversements historiques dans la littérature du XXe siècle
Les guerres mondiales en littérature
Le thème de la guerre est apparu très tôt en littérature, avec les épopées.
L'Iliade est un récit épique d'Homère qui relate la guerre de Troie.
Les guerres du XXe siècle traumatisent toutefois durablement la population et les auteurs. En termes de morts et de moyens techniques mis en place pour tuer et détruire, la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale sont sans précédent.
Les récits autour de la Première Guerre mondiale évoquent le traumatisme des soldats revenus du front, notamment à cause des nombreux écrivains qui y ont participé. Ils témoignent de leur terrible expérience. On peut trouver :
- Des témoignages directs
- Des poèmes
- Des romans
Les lettres de Poilus sont des témoignages directs.
Guillaume Apollinaire a écrit plusieurs poèmes pour Louise de Coligny-Châtillon alors qu'il était sur le front.
Roland Dorgelès a écrit le roman Les Croix de bois en 1919 sur son expérience à la guerre. Du côté allemand, Erich Maria Remarque a publié À l'Ouest rien de nouveau en 1929.
Les auteurs n'hésitent pas à employer le langage familier, voire l'argot de l'époque afin de rendre leur texte plus accessible à toute la population qui n'est pas forcément lettrée.
Il lève au ciel ses deux bras boulus. Il s'est extrait, à grand frottement, de l'escalier de la guitoune, et le voilà à côté de moi. Après avoir trébuché sur le tas obscur d'un bonhomme assis par terre, dans la pénombre et qui se gratte énergiquement avec des soupirs rauques, Paradis s'éloigne, clapotant, cahin-caha, comme un pingouin, dans le décor diluvien.
Henri Barbusse
Le Feu, Paris, éd. Flammarion
1916
L'auteur fait parler les soldats de façon vivante avec l'emploi du discours direct et le recours à un vocabulaire parfois grossier.
Les récits autour de la Seconde Guerre mondiale sont également des témoignages, mais ils parlent moins des combats et davantage des camps de concentration et d'extermination dans lesquels les nazis ont enfermé et massacré de nombreux humains. Les écrivains s'affrontent pendant cette période car certains auteurs soutiennent le régime fasciste d'Hitler. Il y a donc une opposition entre :
- Ceux qui dénoncent la barbarie
- Ceux qui soutiennent l'Allemagne nazie
Les écrivains Pierre Drieu la Rochelle, Céline et Robert Brasillach se positionnent du côté allemand.
Les écrivains Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre et Robert Desnos dénoncent les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.
La société de l'entre-deux-guerres dans la littérature
L'entre-deux-guerres est le moment où les écrivains s'engagent dans la société pour essayer de la reconstruire après les horreurs de la Première Guerre. Deux types de littératures émergent :
- Une littérature nationaliste qui revendique la victoire
- Une littérature qui dénonce le traumatisme subi
L'entre-deux-guerres est un moment de remise en question littéraire, il faut réinventer le langage. Plusieurs tentatives se font :
- Les surréalistes refusent toutes les règles littéraires et défendent les valeurs de l'absurde, du rêve et de la révolte.
- Le roman se développe avec des nouvelles techniques narratives : le narrateur n'est plus omniscient mais le monologue intérieur prend davantage de place afin que la réflexion soit au cœur de l'entreprise littéraire.
L'analyse psychologique a perdu pour moi tout intérêt du jour où je me suis avisé que l'homme éprouve ce qu'il s'imagine éprouver. De là à penser qu'il s'imagine éprouver ce qu'il éprouve... Je le vois bien avec mon amour : entre aimer Laura et m'imaginer que je l'aime, entre m'imaginer que je l'aime moins, et l'aimer moins, quel dieu verrait la différence ? Dans le domaine des sentiments, le réel ne se distingue pas de l'imaginaire. Et, s'il suffit d'imaginer qu'on aime, pour aimer, ainsi suffit-il de se dire qu'on imagine aimer, quand on aime, pour aussitôt aimer un peu moins, et même pour se détacher un peu de ce qu'on aime, ou pour en détacher quelques cristaux. Mais pour se dire cela ne faut-il pas déjà aimer un peu moins ?
André Gide
Les Faux-monnayeurs, Paris, éd. Gallimard, coll. "Nouvelle Revue française"
1925
Cet extrait souligne la crise que la littérature est en train de vivre. André Gide repense le genre romanesque.
Les régimes fasciste et totalitaire en littérature
Les régimes totalitaires sont le plus souvent dénoncés par les écrivains de science-fiction. Ils utilisent une situation et un cadre imaginaire pour mieux dénoncer la réalité des régimes oppressifs. On retrouve les aspects négatifs des régimes totalitaires dans leurs œuvres :
- Privation de liberté
- Propagande
- Répression
- Absence d'égalité entre les citoyens
Les écrivains écrivent contre ces régimes pour remettre en question le pouvoir.
Commandement n° 1 : Tout deux pattes est un ennemi.
Commandement n° 2 : Tout quatre pattes ou volatile est un ami.
Commandement n° 3 : Nul animal ne portera de vêtements.
Commandement n° 4 : Nul animal ne dormira dans un lit.
Commandement n° 5 : Nul animal ne boira d'alcool.
Commandement n° 6 : Nul animal ne tuera un autre animal.
Commandement n° 7 : Tous les animaux sont égaux.
George Orwell
La Ferme des animaux, (Animal Farm. A Fairy Story), trad. Jean Queval, Paris, éd. Champ libre (1981)
1945
George Orwell dénonce la société communiste dans son roman où les animaux prennent le pouvoir. On retrouve des événements à l'origine du gouvernement communiste russe :
- La prise de pouvoir par une révolution
- Les idéaux généreux
- Des principes et des commandements à appliquer
- Le durcissement des lois puis le règne de la terreur
L'extrait présente les commandements idéalistes qui devraient régir la société. Toutefois, ils ne seront pas suivis. Orwell met en garde contre un régime en apparence idéal qui finit par dériver vers le fascisme.
Les auteurs engagés au XXe siècle
Au XXe siècle, on considère qu'un écrivain se doit d'être engagé et d'agir dans la Cité. Les deux guerres mondiales ont bouleversé les hommes, les frontières et la politique. Le texte ne peut donc plus être neutre à ce moment de l'Histoire. Les auteurs s'impliquent et impliquent leurs lecteurs. Les plus célèbres sont :
- Jean-Paul Sartre
- Albert Camus
- Simone de Beauvoir
- Louis Aragon
- Paul Éluard
Albert Camus est un auteur du XXe siècle. D'abord journaliste, il développe ensuite la philosophie de l'absurde avec son roman L'Étranger. Très actif dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, il écrit pour le journal Combat et s'engage également pour des causes humanitaires. Il représente la figure de l'écrivain engagé contre les injustices et utilisant son art pour dénoncer et faire réfléchir sur le rôle de l'individu dans la société.
Simone de Beauvoir est une théoricienne du féminisme. Elle a participé au mouvement de libération de la femme, dans les années 1970. Son essai Le Deuxième Sexe reste un ouvrage fondateur. Par ses écrits et ses actions, elle a lutté pour le droit des femmes.
Jean-Paul Sartre est un philosophe théoricien de l'existentialisme. Il a milité contre le colonialisme et écrit des pièces de théâtre qui sont des métaphores de la Résistance, comme Les Mouches et Huis-clos.
Le statut de l'œuvre littéraire dans l'Histoire
Les conflits politiques ont profondément marqué le XXe siècle et ont modifié la façon d'écrire et le statut de l'écrivain. L'auteur n'est plus un artiste, il devient un témoin de l'Histoire et de ses horreurs. Le statut de l'œuvre littéraire est remis en question. En effet, elle peut être :
- Un témoignage
- Un document historique
- Une œuvre d'art
Ainsi, plusieurs œuvres littéraires cumulent les différents statuts.
Le roman Si c'est un homme de Primo Levi est à la fois un témoignage de la vie en camp de concentration, un document historique qui permet aux historiens d'en savoir plus sur la barbarie nazie, et une œuvre littéraire dans laquelle l'auteur travaille la langue.
Agir dans la Cité : des héros en lutte
De nombreux héros en littérature sont en lutte contre leur société ou contre l'ordre établi. Ce sont des personnages décidés à agir. Ils le font pour différentes raisons :
- Respecter leurs idéaux
- Protéger leurs proches
- Défendre leurs propres intérêts
Les plus célèbres personnages en lutte contre la société sont :
- Antigone qui refuse d'obéir aux lois de son oncle.
- Andromaque qui refuse de se plier aux ordres du nouveau roi.
- Julien Sorel, héros du roman Le Rouge et le Noir, qui refuse de rester dans sa position sociale de départ.
- Caligula, héros de la pièce éponyme d'Albert Camus, qui refuse l'absurdité du monde.
- Bardamu, héros du roman Voyage au bout de la nuit de Céline, qui pose un œil critique et désabusé sur la société et ses horreurs.
- Roméo et Juliette qui remettent en question la société patriarcale et violente de Vérone et choisissent l'amour plutôt que la haine.
Ils remontent de loin, les maux que je vois, sous le toit des Labdacides, toujours, après les morts, s'abattre sur les vivants, sans qu'aucune génération jamais libère la suivante : pour les abattre, un dieu est là qui ne leur laisse aucun répit. L'espoir attaché à la seule souche demeurée vivace illuminait tout le palais d'Œdipe, et voici cet espoir fauché à son tour !
Sophocle
Antigone, dans Tragédies complètes, trad. Paul Mazon, Paris, éd. Gallimard (1962)
Vers 441 av. J.-C.
L'Antigone de Sophocle n'agit pas pour elle-même, ce n'est pas une épreuve individuelle que de s'élever contre les lois humaines. Elle entend faire respecter les lois archaïques des dieux.