Sommaire
ILa place du roman et de la nouvelle en littératureAL'histoire littéraire du roman et de la nouvelle1De la chanson de geste au roman2De l’épopée au roman3Un genre en sommeil4L'Âge d'or du roman et de la nouvelle : le XIXe siècleBLes grands types de romans et de nouvelles1Les récits centrés sur l'intrigue2Les récits centrés sur les personnages3Les récits centrés sur le "je"4Les récits centrés sur le questionnement philosophique5Les récits centrés sur le contexte social et politique6Les récits centrés sur le problème de l’écritureCLe roman et la nouvelle en France au XIXe siècle1Le récit fantastique2Le roman historique3Le roman romantique4Le roman et la nouvelle réalistes5Le roman et la nouvelle naturalistesIILes caractéristiques d’écriture du roman et de la nouvelleALe statut du narrateur1Le narrateur extérieur à l'histoire2Le narrateur personnage de l'histoireBLa construction du récit1L'incipit2L'intrigue unique3L'intrigue complexeCLe temps de la narration1Le moment de la narration2L'anachronie3Le rythme du récitDLa focalisation du narrateur1La focalisation externe (ou point de vue externe)2La focalisation interne (ou point de vue interne)3La focalisation zéro (ou point de vue omniscient)La place du roman et de la nouvelle en littérature
L'histoire littéraire du roman et de la nouvelle
De la chanson de geste au roman
À sa naissance au Xe siècle, la littérature en langue française propose très vite des récits de personnages illustres, les saints. Ces écrits sont en langue romane, une langue issue de déformations progressives de la langue latine. En effet, en Gaule, on parle le latin depuis l'invasion par Jules César. Mais avec les années, cette langue a subi de nombreuses transformations.
L'appellation "roman" vient du fait que les premiers romans sont écrits en langue romane.
Le Roman de Thèbes, écrit par un anonyme, est un récit en langue romane. C'est un roman écrit en vers. En effet, l'utilisation systématique de la prose pour écrire des romans n'arrive que bien plus tard.
Des saints qui ont marqué l'histoire spirituelle de la France aux chevaliers qui l'ont vaillamment défendue, il n'y a qu'un pas. Au XIIe siècle, un auteur anonyme écrit la Chanson de Roland, l'une des plus célèbres chansons de gestes.
On nomme ce récit "chanson de geste" car il est en vers, psalmodié par les troubadours auprès des seigneurs qui leur payent leurs prestations. Ces récits relatent les hauts faits des héros, que l'on nomme gesta en latin et que l'on peut traduire par "geste".
La Chanson de Roland, célèbre chanson de geste du XIIe siècle, raconte, en vers, les exploits guerriers et la mort du chevalier Roland, neveu de Charlemagne.
De l’épopée au roman
Au Moyen Âge et à la Renaissance, l'esprit est à la traduction des textes latins. La littérature française commence donc par retranscrire des épopées en langue romane. Il s'agit de récits des hauts faits de personnages appartenant à la littérature gréco-latine.
Le Roman d'Alexandre raconte la vie du célèbre empereur macédonien. Écrit en vers de 12 syllabes, il a donné son nom à l'alexandrin.
Puis les auteurs décident de s'intéresser à d'autres récits antiques, plus locaux. Il s'agit de la mythologie orale héritée des Celtes.
Les personnages représentés sont illustres, exemplaires. Sans défaut aucun, ils deviennent des exemples de courage pour les premiers romans écrits au XIIe siècle. Ainsi, les héros des romans de la Table ronde reprennent ces qualifications exceptionnelles.
Et, disant cela, il se recommanda de tout son cœur à sa dame Dulcinée, lui demandant qu'elle le secourût en ce danger, puis, bien couvert de sa rondache, et la lance en l'arrêt, il accourut, au grand galop de Rossinante, donner dans le premier moulin qui était devant lui, et lui porta un coup de lance en l'aile : le vent la fit tourner avec une telle violence qu'elle mit la lance en pièces, emmenant après soi le cheval et le chevalier, qui s'en furent rouler un bon espace parmi la plaine.
Miguel de Cervantes
L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, (El ingenioso hidalgo don Quixote de la Mancha), trad. Aline Schulman, Paris, éd. Seuil, coll. Points (2001)
1605-1615
Cette citation montre à quel point le personnage de roman de chevalerie est exemplaire : il agit sans faillir au nom de la femme qu'il aime. Son courage n'a d'égal que sa fidélité envers la femme aimée.
Toutefois, certains personnages de roman commencent à montrer quelques faiblesses. Le roman se détache alors de l'épopée.
Dans Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, le chevalier éponyme porte assistance à de multiples nécessiteux, en particulier des jeunes femmes. Cependant, son errance a été provoquée par un manquement à sa parole : il n'a pas respecté une promesse envers son épouse.
De ces romans médiévaux, le roman moderne conserve les caractéristiques imparfaites des personnages.
Un genre en sommeil
Entre la fin du Moyen Âge et le XVIIe siècle, le roman est considéré comme un genre mineur, trop convenu. La mode des récits de chevaliers est passée, elle appartient à un autre temps.
À partir du XVe siècle, le roman se fait alors décalé, comique : il se moque des récits qui se prennent au sérieux.
Dom Quichotte de Cervantès raconte l'histoire d'un homme qui prend ses lectures pour une réalité. Persuadé d’être un chevalier, il erre sur les routes afin de combattre des ennemis qui s'avèrent imaginaires, comme dans le célèbre épisode des moulins à vent.
En ce moment, ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent qu'il y a dans cette plaine, et, dès que Dom Quichotte les vit, il dit à son écuyer : "La fortune conduit nos affaires mieux que ne pourrait y réussir notre désir même. Regarde, ami Sancho, voilà devant nous au moins trente démesurés géants, auxquels je pense livrer bataille et ôter la vie à tous tant qu'ils sont."
Miguel de Cervantes
L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, (El ingenioso hidalgo don Quixote de la Mancha), trad. Aline Schulman, Paris, éd. Seuil, coll. Points (2001)
1605-1615
Cette citation permet de montrer le ridicule du personnage de Dom Quichotte. Ce personnage sympathique, aux intentions héroïques, est un homme qui a perdu la raison et qui prend des moulins pour des géants.
Au XVIe siècle, d'autres romanciers se servent du roman pour parodier la littérature et pousser à réfléchir sur la société de leur temps.
Gargantua de François Rabelais raconte les aventures d'un groupe de géants et de leurs vassaux. Mais derrière ces personnages grotesques se cache une critique de la société française de l’époque. On peut notamment y lire une proposition pour une autre société possible, dans les chapitres consacrés à l'abbaye de Thélème.
Au début du XVIIe siècle, le genre se fait d'abord mystérieux avec l'apparition du roman pastoral. Quelques auteurs baroques comme Honoré d'Urfé proposent des récits merveilleux dans lesquels des personnages appartenant à la mythologie vivent des successions de péripéties sans lien apparent. Ces romans-fleuves proposent aux initiés une réflexion spirituelle sur l'amour, la foi, la vie. Mais les lecteurs passionnés sont peu nombreux et le genre est rapidement critiqué.
Dans L'Astrée d'Honoré d'Urfé, dans une forêt magique, des bergers et des bergères se trouvent séparés les uns des autres dès le début du roman. Chacun cherche à retrouver la personne qui occupe ses pensées.
Les détracteurs du roman assurent que c'est un genre réservé au public féminin.
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le roman revient sur le devant de la scène littéraire, grâce à la littérature baroque puis classique. Quelques auteurs se font remarquer pour la beauté de leur écriture et la force avec laquelle ils racontent les destins de leurs personnages.
L'héroïne de La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette est un modèle de vertu. Bien qu'amoureuse du duc de Nemours qui l'aime en retour, elle résiste à son désir pour lui. Elle veut rester fidèle à son mari. À la mort de ce dernier, elle refuse toujours de céder au duc, car elle se sent coupable, mais aussi car elle veut garder leur amour pur.
Au XVIIIe siècle, le roman reste un genre mineur. Plusieurs auteurs continuent néanmoins à publier des romans. Ceux-ci ont souvent pour objectif l'édification morale par le contre-exemple de destins malheureux.
Dans Manon Lescaut de l'Abbé Prévost, le narrateur raconte sa passion malheureuse pour une jeune libertine. C'est un roman moral qui condamne le libertinage et les femmes de petite vertu.
Mais certains auteurs se servent également de cette excuse pour mettre en scène des récits moralement discutables.
L'Âge d'or du roman et de la nouvelle : le XIXe siècle
C'est définitivement au XIXe siècle que se fixent les définitions actuelles du roman et de la nouvelle.
Roman
Le roman est un genre littéraire qui désigne un récit fictif plus ou moins long rédigé en prose. Il présente comme réels des personnages fictifs et les fait vivre dans un cadre spatio-temporel précis. Il les décrit, montre leur psychologie et relate leurs aventures.
Le Rouge et le Noir est un roman de Stendhal.
Nouvelle
La nouvelle est un récit fictif en prose qui se caractérise par sa brièveté. On la rapproche parfois du conte, mais à l'inverse de ce dernier, elle peut être réaliste. Elle se distingue du roman car elle se centre sur un seul événement et les descriptions y sont souvent moins longues. Elle suggère au lieu de tout expliquer. Les personnages sont en nombre restreint.
Boule de Suif est une nouvelle de Maupassant.
À l'issue de la Révolution française, la société est bouleversée. Les auteurs se mettent à décrire la société contemporaine. L'idéalisation est reléguée à la poésie et au théâtre. Le roman se met au service du peuple, défend les plus démunis, condamne les injustices.
Les grands types de romans et de nouvelles
Les récits centrés sur l'intrigue
Les récits centrés sur l'intrigue accordent beaucoup d'importance à l'enchaînement des événements et proposent une réelle tension narrative. Le lecteur est sujet au suspense, qui le tient en haleine.
Mort sur le Nil d'Agatha Christie relate l'enquête réalisée par le détective Hercule Poirot lors de sa croisière sur le Nil. C'est un récit policier qui tient le lecteur en haleine.
Les récits centrés sur les personnages
Les récits centrés sur les personnages dressent les portraits physiques, moraux et sociaux des différents personnages. Cela permet l'analyse des relations qu'ils peuvent établir entre eux.
L'Éducation sentimentale de Gustave Flaubert raconte l'entrée dans l'âge adulte du jeune Frédéric Moreau. Le texte présente l'évolution de ce jeune homme, notamment dans ses relations amoureuses.
Les récits centrés sur le "je"
Dans les récits centrés sur le "je", le texte évoque essentiellement le narrateur, qui raconte à la 1re personne.
Le Dernier Jour d'un condamné de Victor Hugo est un journal intime fictif d'un condamné à mort.
Les récits centrés sur le questionnement philosophique
Dans les textes centrés sur le questionnement philosophique, le récit fait réfléchir le lecteur sur une question d'ordre philosophique.
Dans Vendredi ou la Vie sauvage, Michel Tournier invite le lecteur à s'interroger sur les enjeux de la civilisation et sur la définition de l'humanité.
Les récits centrés sur le contexte social et politique
Le roman comporte surtout la description et l'analyse de la société où évoluent les personnages.
Dans L'Assommoir (1876), Zola montre la vie miséreuse des ouvriers parisiens au XIXe siècle.
Les récits centrés sur le problème de l’écriture
Le texte s'interroge essentiellement sur la manière d'écrire un roman.
Vous allez croire, lecteur, que ce cheval est celui qu'on a volé au maître de Jacques : et vous vous tromperez. C'est ainsi que cela arriverait dans un roman […] ; mais ceci n'est point un roman, je vous l'ai déjà dit, je crois, et vous le répète encore.
Denis Diderot
Jacques le Fataliste et son maître, Paris, éd. Buisson
1796
Cette citation montre comment le texte fait réfléchir sur la construction du roman. Le narrateur intervient pour nier la possibilité d'un heureux hasard et critiquer, par la même occasion, les romans qui font se succéder les coïncidences.
Comme toute tentative de classification, celle des types romanesques a le défaut de trop simplifier. Certains romans, par leur richesse, peuvent entrer dans plusieurs catégories.
Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos (1782) est un roman épistolaire qui propose des analyses psychologiques des personnages. Toutefois, ce roman propose également des réflexions sur la place de la femme ou le mariage et dresse un panorama de la société du XVIIIe siècle.
Le roman et la nouvelle en France au XIXe siècle
On considère le XIXe siècle comme l'Âge d'or du roman car non seulement les œuvres paraissent en grand nombre mais elles sont aussi extrêmement variées. Mettant au premier plan le pouvoir de l'imagination, le romantisme renoue avec l'imaginaire des romans médiévaux et produit des récits fantastiques.
Le récit fantastique
Le récit fantastique introduit des éléments surnaturels dans le monde réel. De cette manière, il fait naître le doute dans la pensée du lecteur, ce qui suscite chez lui peur et angoisses.
Histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe (1856) est un recueil de nouvelles fantastiques.
Le roman historique
Les romans historiques se déroulent dans des périodes antérieures à la publication. Leur intrigue est liée à un événement historique majeur.
Ivanhoé est un roman de Walter Scott, publié en 1819. L'histoire se déroule dans l'Angleterre du XIIe siècle.
Le roman romantique
Les premiers romanciers du XIXe siècle s'intéressent au peuple et au cœur humain.
Dans Les Misérables, Victor Hugo dresse le portrait de différents personnages appartenant à toutes les couches sociales de la société : des miséreux comme les Thénardier, des nantis à l'image de l’évêque de Digne, des hommes de bien et des tristes sires.
Le roman et la nouvelle réalistes
Très vite, le romantisme cède la place au mouvement réaliste. Les romanciers se mettent à observer l'organisation sociale de plus près, pour en dénoncer les difficultés, les injustices.
Dans Le Père Goriot, Honoré de Balzac raconte les destins contraires de deux hommes qui vivent l'un et l'autre dans une même pension de famille. Tandis que le jeune et ambitieux Eugène de Rastignac évolue chaque jour un peu plus dans le grand monde, il assiste à la déchéance de son voisin, le vieux Père Goriot, qui se sacrifie pour fournir à ses deux filles tout le luxe qu'elles réclament.
Beaucoup de ces romans sont inspirés de faits divers.
Le Rouge et le Noir de Stendhal est inspiré d'un fait divers survenu dans la région de Grenoble : un jeune homme, éconduit par sa maîtresse, une femme mariée, la tue un dimanche à l’église. Il est condamné à mort.
Certains récits sont d'abord publiés dans la presse. Cela pousse à l’écriture brève, qui devient une mode. La nouvelle se développe rapidement dans la seconde partie du siècle.
Parfois ces textes sont appelés contes. Il faut bien distinguer le conte (nouvelle), où le récit reste réaliste, probable, et le conte merveilleux, genre qui se développe depuis le XVIIe siècle et dont la construction narrative est très figée.
Guy de Maupassant a surtout écrit des nouvelles. Il est notamment connu pour ses Contes du jour et de la nuit et les Contes de la bécasse.
Le roman et la nouvelle naturalistes
À la fin du siècle, les romanciers deviennent convaincus que le roman peut non seulement décrire et critiquer des faits ayant existé, mais qu'il peut aussi se faire un terrain d'expérimentation. Pour Émile Zola et les auteurs naturalistes, il est possible de construire un roman en plaçant les personnages dans des situations qui permettront au lecteur d'observer ses réactions, ses choix. Par ailleurs, les naturalistes veulent montrer le bien-fondé des découvertes sociales et médicales de certains scientifiques de leur temps, comme la génétique.
Dans son cycle des Rougon-Macquart, Émile Zola trace le destin d'une famille à double descendance. D'un côté, les Rougon, la partie bourgeoise de la famille, qui, malgré quelques épisodes difficiles, s'en sort financièrement et socialement, mais selon des principes qui peuvent être jugés immoraux. L'autre partie de la famille, les Macquart, de condition sociale plus humble et dont tous les membres sombrent plus ou moins dans l'alcoolisme, tombent les uns après les autres dans la déchéance.
Ces romans s'intéressent davantage à des destins individuels. Ils détaillent le quotidien, le trivial, afin de mieux dénoncer les injustices.
Dans Pot-Bouille, Émile Zola décrit avec beaucoup de détails toutes les étapes de l'accouchement d'Adèle.
C'étaient heureusement des couches superbes, une présentation franche du crâne. Par moments, la tête qui sortait, semblait vouloir rentrer, repoussée par l'élasticité des tissus, tendus à se rompre ; et des crampes atroces l'étreignaient à chaque reprise du travail, les grandes douleurs la bouclaient d'une ceinture de fer. Enfin, les os crièrent, tout lui parut se casser, elle eut la sensation épouvantée que son derrière et son devant éclataient, n'étaient plus qu'un trou par lequel coulait sa vie ; et l'enfant roula sur le lit, entre ses cuisses, au milieu d'une mare d'excréments et de glaires sanguinolentes.
Émile Zola
Pot-Bouille, Paris, éd. Charpentier
1882
Dans cet extrait, Zola n'hésite pas à décrire de manière très crue les réalités d'un accouchement. Il ne tait aucun détail, pas même les plus ragoûtants. Il s'agit de l'une des caractéristiques du mouvement naturaliste.
Les caractéristiques d’écriture du roman et de la nouvelle
Le statut du narrateur
Le narrateur est celui qui raconte l'histoire. Il ne faut pas le confondre avec l'auteur, une personne réelle qui a composé le livre. L'auteur choisit le statut de son narrateur en le rendant plus ou moins présent.
Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.
Albert Camus
L'Étranger, Paris, éd. Gallimard, coll. "Blanche"
1942
Dans l'extrait précédent, le personnage Meursault raconte sa propre histoire. C'est donc le narrateur.
Le narrateur extérieur à l'histoire
Narrateur extérieur
Le narrateur extérieur à l'histoire raconte des faits auxquels il n'a pas participé, comme s'il en avait été seulement le témoin. Le récit est écrit à la troisième personne.
En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte.
Franz Kafka
La Métamorphose (Die Verwandlung), trad. Alexandre Vialatte, Paris, éd. Gallimard (1938)
1915
L'extrait précédent est tiré de La Métamorphose de Franz Kafka. Il est écrit à la 3e personne du singulier. Le narrateur est donc extérieur.
Le narrateur extérieur peut cependant se manifester pour donner son avis, parfois avec humour. Il emploie alors souvent la première personne du pluriel et se confond avec le "je" de l'auteur.
Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment.
Stendhal
La Chartreuse de Parme, Paris, éd. Ambroise Dupont
1839
L'extrait précédent est tiré de La Chartreuse de Parme de Stendhal. Le narrateur se permet des commentaires sur les personnages, visibles grâce à l'utilisation du pronom personnel "nous".
Le narrateur personnage de l'histoire
Narrateur personnage
Le narrateur personnage raconte à la première personne des faits auxquels il est censé avoir participé. Cette technique accentue l'effet de vraisemblance, en particulier dans les récits fantastiques.
Je l'ai vu ! Je me suis assis hier soir, à ma table ; et je fis semblant d'écrire avec une grande attention.
Guy de Maupassant
"Le Horla", dans le recueil de nouvelles Le Horla, Paris, éd. Paul Ollendorf
1887
L'extrait précédent est tiré de "Le Horla" de Guy de Maupassant. Le narrateur raconte à la première personne son expérience avec le surnaturel. Le lecteur est tenté de croire à son témoignage.
Il ne faut pas confondre le roman écrit à la première personne (œuvre de fiction) avec le récit autobiographique, relatant des faits réellement vécus par l'auteur.
Mais maman lâche ma main, ou elle la tient moins, elle me regarde de son air mécontent et me dit : "Un enfant qui aime sa mère trouve que personne n'est plus beau qu'elle".
Nathalie Sarraute
Enfance, Paris, éd. Gallimard, coll. "Blanche"
1983
L'extrait précédent est tiré du livre Enfance de Nathalie Sarraute. L'auteure raconte sa jeunesse et ses relations avec ses parents. Elle utilise le "je" autobiographique.
La construction du récit
L'incipit
L'incipit correspond au début d'un roman. Le narrateur y transmet des informations essentielles à la lecture de l'œuvre :
- Il détermine le cadre spatio-temporel.
- Il présente les personnages centraux.
- Il instaure une atmosphère propre au récit.
- Il met en lumière un problème, un événement qui vient bousculer le quotidien des personnages et lance l'intrigue.
L'intrigue unique
Certains récits courts, en particulier des nouvelles et des contes, utilisent un schéma narratif simple, ne comprenant qu'une seule intrigue. Toutes les actions réalisées par les personnages, tous les événements qui se produisent ont un lien avec un seul problème, que l'on nomme "nœud".
Dans "La Parure" de Guy Maupassant, l'intrigue est unique. Elle est organisée autour du nœud que représente la perte d'un bijou.
Le schéma narratif est alors unique. Une situation initiale stable est bousculée par un élément perturbateur qui déclenche le nœud de l'action. Les personnages vivent alors des péripéties qui les conduisent en général à l’élément de résolution, qui règle le problème encouru et ramène une situation stable, nommée situation finale.
L'intrigue complexe
D'autres récits, en général longs, proposent plusieurs nœuds (ou problèmes à résoudre). On dit alors que l'intrigue est complexe. Ces nœuds peuvent être enchaînés, simultanés ou enchâssés.
Quand les nœuds sont enchaînés, les personnages sont exposés à plusieurs éléments perturbateurs. La situation initiale commence alors par être bousculée par un élément perturbateur. Les péripéties s'enchaînent, jusqu’à ce qu'un autre élément perturbateur bouscule une fois de plus les événements. Le récit peut alors contenir plusieurs éléments perturbateurs accompagnés de leurs péripéties, jusqu’à l'arrivée d'un élément de résolution qui amène enfin une situation finale stable.
Dans Bel-Ami, roman de Guy de Maupassant publié en 1885, le récit est chronologique : on assiste à la montée de l'échelle sociale par Georges Duroy. Celle-ci suit la chronologie de l'histoire.
Quand les nœuds sont simultanés, les personnages sont séparés les uns des autres et ne sont pas confrontés aux mêmes éléments perturbateurs en même temps, si bien que leurs péripéties sont différentes.
Dans Les Misérables de Victor Hugo, tandis que Cosette grandit chez les Thénardier, Monsieur Madeleine secourt le vieux père Fauchelevent sous le regard suspicieux de l'inspecteur Javert. De son côté, Fantine, ne trouvant pas de travail, vend ses cheveux.
Quand les nœuds sont enchâssés, un élément perturbateur pousse l'un des personnages à faire lui-même un récit d’événements pour lesquels il existe également un schéma narratif. Il y a alors un récit dans le récit.
Dans "Rose" de Guy de Maupassant, alors qu'elles sont à la fête des fleurs, Simone et Marguerite conviennent qu'il est agréable d’être aimées. Marguerite soutient que l'amour qu'elle suscite chez ses domestiques est parfois gênant. Pour prouver son argument, elle raconte l'histoire de Rose.
Le temps de la narration
Le moment de la narration
On distingue trois types de moment de la narration :
- La narration simultanée
- La narration ultérieure
- La narration antérieure
Dans une narration simultanée, il ne s'écoule aucun délai entre le moment où les personnages réalisent les actions et celui où le narrateur les raconte au lecteur.
Dans Les Gommes d'Alain Robbe-Grillet, le récit est au présent : il se déroule immédiatement sous les yeux du lecteur.
Dans la narration ultérieure, le narrateur raconte a posteriori des événements qui se sont déjà produits.
Dans "La Cafetière" de Théophile Gautier, le narrateur revient sur des événements qui se sont passés l'année précédente. Il s'agit d'analepses.
Dans la narration antérieure (très rare), le narrateur (ou la voix narrative) anticipe, prédit au présent ou au futur prédictif des faits qui vont se produire ou se reproduire dans l'avenir. Ce sont des prolepses, des prophéties. Or, la narration antérieure ne doit pas se confondre avec la narration des récits de science-fiction.
Ainsi, à travers l'histoire, une lutte qui est la même dans ses lignes principales se répète sans arrêt. Pendant de longues périodes, la classe supérieure semble être solidement au pouvoir. Mais tôt ou tard, il arrive toujours un moment où elle perd, ou sa foi en elle-même, ou son aptitude à gouverner efficacement, ou les deux. Elle est alors renversée par la classe moyenne qui enrôle à ses côtés la classe inférieure en lui faisant croire qu'elle lutte pour la liberté et la justice.
Sitôt qu'elle a atteint son objectif, la classe moyenne rejette la classe inférieure dans son ancienne servitude et devient elle-même supérieure. Un nouveau groupe moyen se détache alors de l'un des autres groupes, ou des deux, et la lutte recommence.
George Orwell
1984, (Nineteen Eighty-Four), trad. Amélie Audiberti, Paris, éd. Gallimard, coll. "Du monde entier" (1950)
1949
En 1949, George Orwell publie 1984, roman d'anticipation où il imagine le monde futur soumis à la dictature de Big Brother.
L'anachronie
L'anachronie est une rupture dans l'ordre chronologique des événements du récit.
Analepse
Le narrateur peut provoquer un retour en arrière. C'est une analepse.
"Le gouvernement avait demandé cent millions et cent mille hommes." (Les Chouans, Honoré de Balzac, 1829)
Dans l'extrait précédent, l'auteur procède à un retour en arrière qui permet d'expliquer une situation.
Prolepse
Le narrateur peut aussi anticiper la suite des événements. Il s'agit alors d'une prolepse.
Le rythme du récit
Le narrateur peut également faire varier la vitesse à laquelle s'enchaînent les événements dans le récit. Pour cela, il insiste davantage sur certains éléments ou bien il en occulte d'autres.
- La pause sert à interrompre le récit afin de se concentrer sur la description.
- La scène ralentit le rythme du récit pour accorder plus d'importance à un moment capital de l'histoire. Le narrateur raconte avec précision les faits et gestes des personnages et les fait dialoguer, comme dans une scène de théâtre ou de cinéma.
- Le sommaire passe rapidement en revue des événements qui ont eu lieu sur une longue période de temps.
- L'ellipse passe directement d'un temps à un autre. Elle masque volontairement des étapes, des événements.
La focalisation du narrateur
La focalisation externe (ou point de vue externe)
La focalisation externe (ou point de vue externe) se réfère à un narrateur externe : celui-ci raconte les faits comme quelqu'un qui les observe de l'extérieur. Il ne peut pas communiquer les sentiments ou les pensées des personnages.
Par moments, une ouvreuse se montrait, affairée, des coupons à la main, poussant devant elle un monsieur et une dame qui s'asseyaient, l'homme en habit, la femme mince et cambrée, promenant un lent regard. Deux jeunes gens parurent à l'orchestre. Ils se tinrent debout, regardant.
Émile Zola
Nana, Paris, éd. Charpentier
1880
La focalisation interne (ou point de vue interne)
La focalisation interne permet au lecteur de suivre les péripéties à travers les pensées et les sentiments d'un personnage précis.
À travers le brouillard, il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il embrassa, dans un dernier coup d'œil, l'île Saint-Louis.
Gustave Flaubert
L'Éducation sentimentale, Paris, éd. Michel Lévy frères
1869
La focalisation zéro (ou point de vue omniscient)
Avec la focalisation zéro, le narrateur n'adopte pas le point de vue d'un personnage précis, il n'y a pas de restriction du champ de vision. Il est omniscient, c'est-à-dire qu'il sait tout de ses personnages ainsi que des événements passés ou à venir.
Louis Lambert naquit, en 1797, à Montoire, petite ville du Vendômois, où son père exploitait une tannerie de médiocre importance et comptait faire de lui son successeur.
Honoré de Balzac
Louis Lambert, Paris, éd. Charles Gosselin, coll. "Études philosophiques"
1832
Un romancier peut varier les focalisations à l'intérieur d'une même œuvre. Étudier la focalisation dans un extrait de roman permet d'évaluer les informations données par le narrateur au lecteur.