On donne la lettre LXVII extraite des Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos :
LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT
Je ne voulais plus vous répondre, Monsieur, et peut-être l'embarras que j'éprouve en ce moment est-il lui-même une preuve qu'en effet je ne le devrais pas. Cependant je ne veux vous laisser aucun sujet de plainte contre moi ; je veux vous convaincre que j'ai fait pour vous tout ce que je pouvais faire.
Je vous ai permis de m'écrire, dites-vous ? j'en conviens ; mais quand vous me rappelez cette permission, croyez-vous que j'oublie à quelles conditions elle vous fut donnée ? Si j'y eusse été aussi fidèle que vous l'avez été peu, auriez- vous reçu une seule réponse de moi ? Voilà pourtant la troisième ; et quand vous faites tout ce qu'il faut pour m'obliger à rompre cette correspondance, c'est moi qui m'occupe des moyens de l'entretenir. Il en est un, mais c'est le seul ; et si vous refusez de le prendre, ce sera, quoi que vous puissiez dire, me prouver assez combien peu vous y mettez de prix.
Quittez donc un langage que je ne puis ni ne veux entendre; renoncez à un sentiment qui m'offense et m'effraie, et auquel, peut-être, vous devriez être moins attaché en songeant qu'il est l'obstacle qui nous sépare. Ce sentiment est-il donc le seul que vous puissiez connaître, et l'amour aura-t-il ce tort de plus à mes yeux, d'exclure l'amitié ? vous-même, auriez-vous celui de ne pas vouloir pour votre amie celle en qui vous avez désiré des sentiments plus tendres ? Je ne veux pas le croire : cette idée humiliante me révolterait, m'éloignerait de vous sans retour.
En vous offrant mon amitié, Monsieur, je vous donne tout ce qui est à moi, tout ce dont je puis disposer. Que pouvez-vous désirer davantage ? Pour me livrer à ce sentiment si doux, si bien fait pour mon cœur, je n'attends que votre aveu ; et la parole que j'exige de vous, que cette amitié suffira à votre bonheur. J'oublierai tout ce qu'on a pu me dire ; je me reposerai sur vous du soin de justifier mon choix.
Vous voyez ma franchise, elle doit vous prouver ma confiance ; il ne tiendra qu'à vous de l'augmenter encore : mais je vous préviens que le premier mot d'amour la détruit à jamais, et me rend toutes mes craintes ; que surtout il deviendra pour moi le signal d'un silence éternel vis-à-vis de vous.
Si, comme vous le dites, vous êtes revenu de vos erreurs , n'aimerez-vous pas mieux être l'objet de l'amitié d'une femme honnête, que celui des remords d'une femme coupable ? Adieu, Monsieur ; vous sentez qu'après avoir parlé ainsi je ne puis plus rien dire que vous ne m'ayez répondu.
Quelle est la thèse défendue par le texte ? Justifier la réponse.
- Dans la lettre, la présidente de Tourvel cherche à faire appel à la pitié et à la compassion de Valmont.
- Elle met en avant les sentiments du vicomte pour elle comme moyen de le faire céder : "n'aimeriez-vous pas mieux être l'objet de l'amitié d'une femme honnête".
La thèse de cette lettre est que l'amitié honnête de la présidente et du vicomte vaut mieux qu'un amour interdit.
Quels sont les procédés de persuasion ? Justifier la réponse.
- Le cadre intimiste de la lettre, écrite par un individu à un autre, qui plus est dans le cadre d'une relation amoureuse, se situe a priori plus du côté de la persuasion que de la conviction.
- L'épistolière elle-même met en avant son propre état d'âme dès l'amorce de la lettre ("l'embarras que j'éprouve").
- Elle utilise de nombreuses modalités interrogatives auxquelles elle répond elle-même, recréant aussi le cadre du dialogue intime. Elle fait ainsi des concessions ("j'en conviens") afin de mettre son interlocuteur de son côté.
- Les nombreuses injonctions au vicomte montre qu'elle cherche moins à le convaincre qu'à le persuader en ne lui laissant pas le choix.
- Pour finir, elle fait appel à ses sentiments tout au long de la lettre : "Que pouvez-vous désirer davantage ? Pour me livrer à ce sentiment si doux, si bien fait pour mon cœur, je n'attends que votre aveu ; et la parole que j'exige de vous, que cette amitié suffira à votre bonheur". Le registre lyrique est donc très utilisé.
Les procédés de persuasion sont le registre lyrique pour s'adresser aux sentiments de Valmont, mais aussi les injonctions qui ont valeur d'ordre.