"Presque tous les gens que j'ai connus sonnent faux." Expliquer en quoi cette citation illustre les relations humaines dans Les Faux-Monnayeurs.
Quel personnage a pour but la recherche de la sincérité et de la vérité ?
Selon Édouard, quelle catégorie de personnes ment le plus ?
Quelle institution est hypocrite et ne remplit pas son rôle auprès des jeunes ?
Qu'est-ce qui fait souffrir certains personnages dans le roman ?
Pourquoi les femmes souffrent-elles en ménage ?
Le thème de la fausseté apparaît très tôt dans le roman puisque le titre même renvoie à un univers de faussaires, de maquilleurs et de menteurs. Le lecteur s'attend donc à rencontrer une intrigue renvoyant à cet univers lié à la délinquance mais en réalité, la majeure partie de la fausseté ne se retrouve pas dans les pièces mais dans les personnages eux-mêmes. Bernard lui-même dira dans le roman : "Presque tous les gens que j'ai connus sonnent faux." C'est pourquoi il semble intéressant de se demander en quoi cette citation illustre les relations humaines dans Les Faux-Monnayeurs. Tout d'abord, on analysera les formes variées que peut prendre la fausseté puis on se penchera plus précisément sur les personnages afin de s'apercevoir que tous, à tour de rôle, sont concernés par cet univers mensonger.
La fausseté sous toutes ses formes
Les premiers faux-monnayeurs sont bien entendu la bande d'adolescents régis par Strouvilhou qui frappent de la fausse monnaie en appliquant sur une rondelle de cristal une mince couche d'or. Georges raconte dans le roman comment il est parvenu à faire passer sa fausse monnaie en achetant des cigarettes. Cette tromperie est vécue par lui comme une expérience grisante, le sortant de son univers familial. D'ailleurs, Strouvilhou a parfaitement choisi ses proies pour écouler sa monnaie, car il a porté son dévolu sur des jeunes hommes de bonne famille détenant un secret essentiel pour faire chanter les parents qui souhaiteraient contacter la police.
Mais les faussaires ne sont pas les seuls menteurs du roman. Cette métaphore est employée pour désigner le monde de la littérature et des écrivains. Tout d'abord à travers le titre du roman d'Édouard qui, grâce au procédé de la mise en abyme, renvoie au roman de Gide et qui s'intitule Les Faux-Monnayeurs. Édouard dira à propos du titre "Je crains qu'il soit un peu trompeur." Le personnage écrivain qui incarne la fausseté est le vicomte de Passavant. Ce dernier n'est pas un véritable artiste, c'est un "faiseur", c'est-à-dire un auteur qui répond aux besoins de ses lecteurs, à leur envie. Il est sensible à la tendance du moment, à la mode dont il sait assouvir les besoins. Par contre, il ne se met pas en danger, il ne crée pas, il ne fait pas de l'art et ne s'interroge pas quant à une évolution romanesque. Passavant incarne donc le faussaire intellectuel par excellence.
Enfin, un des personnages les plus énigmatiques du roman est bien le diable. Il peut en effet être qualifié de personnage car il est présent dès le début de l'œuvre, se révélant surtout au contact de certains personnages sur lesquels il a une plus grande influence. D'ailleurs, Gide parle de lui dans le Journal des Faux-Monnayeurs en ces termes : "J'en voudrais un qui circulerait incognito à travers tout le livre et dont la réalité s'affirmerait d'autant plus qu'on croirait moins en lui." Il apparaît donc aux côtés de Bernard, le conduisant à découvrir les lettres de sa mère, aux côtés de Vincent à qui il conseille de jouer l'argent donné par sa mère. Mais ce diable ne représente pas réellement un démon religieux, il s'agit plutôt d'une représentation physique du mensonge, de la mauvaise foi et des fausses excuses que se trouvent les personnages.
Le thème de la fausseté et du mensonge est bien inscrit à travers l'intrigue mais tous les personnages, à tour de rôle, incarnent l'hypocrisie et le mensonge, sous toutes ses formes.
Des personnages hypocrites
Comme le dit Bernard : "Oh ! Laura ! Je voudrais tout le long de ma vie, au moindre choc, rendre un son pur, probe, authentique. Presque tous les gens que j'ai connus sonnent faux." Cette citation illustre parfaitement les relations humaines qui sont basées dans le roman sur la fausseté et le mensonge. En effet, de nombreux personnages trichent ou mentent dans le roman, et cela concerne tous les personnages à un moment ou un autre. Le juge Profitendieu préfère préserver les apparences et défend ce qui correspond à la morale bourgeoise au lieu de rechercher la vérité, Passavant n'est pas honnête, il écrit ce que ses lecteurs veulent lire, il n'écrit qu'avec les idées des autres, ce n'est pas un créateur qui dit la vérité. L'éducation ne remplit pas non plus son rôle, au lieu de permettre aux élèves de s'émanciper et de développer une pensée personnelle, elle les enferme et les étouffe comme en témoigne la pension Vedel. La famille n'est pas non plus le refuge espéré car les secrets empoisonnent les relations et les non-dits sont nombreux. La parole semble donc être la clé de toute cette hypocrisie. C'est parce que les personnages ne parviennent pas à communiquer qu'ils se déchirent ou qu'ils ne parviennent pas à aller au bout de leur relation. Ce sont d'ailleurs les femmes qui semblent le plus souffrir de ces situations : Pauline cache son désespoir et abandonne tous ses rêves, Laura retourne auprès de son mari, enceinte d'un autre mais rejetée par lui et Lilian meurt tuée par son amant. Bernard, qui est à la recherche de cette sincérité et de la vérité, soulève à travers ses réflexions une question qui reste là encore sans réponse : comment être sincère avec les autres quand on ne sait pas l'être avec soi-même ?
Face à tout cela, le narrateur prétend au beau milieu de la narration que ses personnages sont en train de lui échapper. Il affirme ne pas savoir ce qui leur arrive et se "demande avec inquiétude où va le mener son récit". Cette affirmation laisse à penser que le narrateur lui-même est contaminé par le manque de sincérité de ses personnages, il dit être impuissant quant aux actions de ses personnages. C'est pourquoi semble-t-il, il les laisse parler et agir afin de mieux les cerner et les connaître.
Le manque de sincérité est donc présent à travers les personnages et dénoncé par Gide car aucun d'eux n'est véritablement heureux que ce soit dans les relations amicales, amoureuses ou familiales.
Les relations humaines impossibles
L'amour est une des quatre intrigues majeures du roman et pourtant, malgré tous les couples qui se font et se défont, on ne peut pas dire que les relations soient, dans l'ensemble, heureuses et harmonieuses. Seul le couple Édouard-Olivier finira par être heureux. Tous les autres vont se mentir, se déchirer ou vivre dans l'ignorance de l'autre, côte à côte uniquement pour préserver les apparences.
Les couples d'adultes, déjà formés au début du roman, sont tous entachés et portent un secret qui les ronge. Le couple La Pérouse exaspère, le pasteur Vedel fuit sa famille et l'adultère a été consommé chez les Molinier et les Profitendieu. Ces personnages peuvent être comparés à des cobayes sur lesquels Gide teste le processus de décristallisation abordé par Édouard dans son Journal : "La lente décristallisation […] est un phénomène psychologique qui l'intéresse bien davantage. J'estime qu'on le peut observer, au bout d'un temps plus ou moins long, dans tous les mariages d'amour." Obligatoirement, la dégradation du couple parental influe sur les relations parents-enfants qui ressentent les tensions parentales. Ainsi, le cri célèbre des Nourritures Terrestres : "Famille, je vous hais ! " n'est pas si éloigné de la réaction de Bernard au début du roman lorsqu'il découvre la vérité sur sa naissance.
Malgré tout, les conventions sociales poussent les personnages à mentir et à cacher le malaise familial. Parmi les enfants, ceux qui sont les plus libres et épanouis sont les enfants Molinier car ils ont grandi dans une famille éclatée, sans subir une influence étouffante contrairement aux Vedel ou à Boris qui est placé sous l'influence négative de son grand-père, incapable de l'aimer sans le faire souffrir. Bernard a pu évoluer tout seul de son côté en coupant les liens avec sa famille, en fuguant. Toutefois, la fin de son aventure peut laisser perplexe car il retourne chez lui, mais il n'est plus l'adolescent qu'il était en partant, il a grandi et il est devenu un adulte autonome.
Si les personnages mentent et se mentent à eux-mêmes, une des conséquences directes concerne les relations humaines qui ne peuvent pas être épanouies si leurs fondations ne sont pas solides. Ainsi, lorsque Bernard s'interroge sur le manque de sincérité des personnes rencontrées, c'est tout un pan de la société qui est abordé. En effet, l'hypocrisie et le mensonge sont bien présents dans cette société bourgeoise bien-pensante décrite dans le roman. Tous les aspects sociétaux semblent touchés et de nombreux personnages sont affectés par ce manque de sincérité. Cela va de la résignation à la dissimulation jusqu'à la mort comme avec les personnages de Boris et Bronja.