"L'amour est la chose la plus incommode du monde. Et je remercie le Ciel tous les jours qu'il nous ait épargné cet embarras à votre père et moi…"
En comparant les visions de Madame de Lafayette et de Bertrand Tavernier, analyser cette réplique de la mère de Marie.
Quel événement rend impossible, au début de la nouvelle, la relation entre Marie et Guise ?
En quoi l'amour que Chabannes éprouve pour Marie est-il précieux ?
Pour quel homme Marie ressent-elle du désir ?
Selon Madame de Lafayette, qu'est-ce qui est préférable à l'amour passionnel ?
Quel personnage souffre le plus de la jalousie ?
Dans les ouvrages classiques et précieux du XVIIe siècle ainsi que dans la nouvelle "La Princesse de Montpensier" de Madame de Lafayette, l'amour est un thème récurrent. Toutefois, s'il existe différentes formes d'amour, la passion qui s'oppose à la raison est souvent à l'origine de la souffrance et conduit les personnages féminins à leur perte. Cela s'explique par le contexte de l'époque où l'adultère est considéré comme un péché vivement réprimé. Le fait d'être une femme constitue, dans le cas de l'adultère, une circonstance aggravante. Il faut savoir qu'aux XVIe et XVIIe siècles, l'amour et le mariage ne sont pas compatibles. Les mariages de la noblesse sont des mariages arrangés par les parents ou des mariages de raison. L'amour est donc souvent absent de la relation conjugale. Alors qu'elle s'oppose à la décision de son père, Marie est conseillée par sa mère qui lui dit : "L'amour est la chose la plus incommode du monde. Et je remercie le Ciel tous les jours qu'il nous ait épargné cet embarras à votre père et moi…". C'est donc une vision très pessimiste de l'amour qui est livrée dans ces œuvres et qui sera étudiée. Tout d'abord les visions que la nouvelle et le film donnent de l'amour seront analysées, puis ce qui fait la force de l'amour passionnel. Enfin, les souffrances liées au sentiment amoureux seront explicitées.
Deux conceptions de l'amour opposées
Dans la nouvelle de Madame de Lafayette, Marie est au centre des attentions et doit faire face à quatre prétendants qui se pressent autour d'elle. Elle ressent tout d'abord un amour sincère envers Guise, et cet amour est réciproque. Cependant, leurs projets sont contrecarrés par un accord conclu entre leurs pères qui promet Marie au frère cadet des Guise. Par la suite, le père de Marie revient sur sa parole et l'offre au prince de Montpensier, mettant ainsi fin aux espoirs des jeunes amoureux. L'amour est donc rendu impossible dès le début de l'intrigue car incompatible avec la vertu et le mariage. Par la suite, ce sont deux autres jeunes hommes qui tomberont sous le charme de Marie : son époux puis le frère du roi, Anjou. Enfin, celui en qui elle pensait pouvoir avoir confiance la trahit, en quelque sorte, en lui avouant être également tombé amoureux d'elle : Chabannes. Malgré elle, et du seul fait de sa beauté dans un premier temps, Marie est assimilée à une proie qui doit se défendre des attaques menées par des hommes prédateurs. Madame de Lafayette développe donc dans sa nouvelle trois formes d'amour : raisonnable, platonique et passionnel. Cependant, ces trois formes ne peuvent permettre aux prétendants d'être heureux. Les précieux aspirent à une plus grande liberté de la femme et à une relation égalitaire, ils condamnent la passion amoureuse qui est source d'un profond malheur. L'amour précieux est donc mis en avant. La femme est idéalisée et respectée. La seule trace de cet amour dans la nouvelle est liée à Chabannes, qui tombe sous le charme intellectuel de Marie. Cet amour naît à son contact, il n'est pas purement physique.
Si la nouvelle développe l'amour précieux, le film, lui, développe l'amour charnel et passionnel. Tout d'abord parce que Tavernier dispose de davantage de liberté, il peut insister sur le désir qui s'éveille chez Marie et même lui permettre de s'éveiller à la sensualité jusqu'à assouvir cette pulsion au contact de Guise. De manière tragique, c'est Chabannes qui se sacrifie pour Marie en lui permettant de faire entrer Guise dans sa chambre afin de consommer leur amour. Bernard Tavernier accorde donc une marge de manœuvre plus importante à Marie. Sa vision de l'amour est plus optimiste, car s'il est évident que tous les personnages souffrent et sont trompés, la lettre que Chabannes écrit à Marie est pleine d'espoir malgré tout. Même s'il insiste sur le fait que "le bonheur est une éventualité peu probable dans cette dure aventure qu'est la vie pour une âme aussi fière que la vôtre", il ne l'exclut pas tout à fait. De plus, même si l'amour ne semble pas permis, l'amitié sincère paraît, elle, possible : "vous restera la parfaite amitié de François, comte de Chabannes".
Madame de Lafayette et Tavernier proposent donc deux visions de l'amour qui diffèrent en raison notamment de leur époque. Cependant, ils se rejoignent en ce qui concerne la force de l'amour passionnel, ravageur et destructeur.
La force de l'amour passionnel
Alors que Madame de Lafayette, dans un langage contenu et esthétique, ne faisait qu'effleurer ces passions, Bertrand Tavernier cherche à les respecter, à "suivre leur progression, mais aussi à mettre à nu ces émotions, en trouver le sens, les racines, la vérité profonde, charnelle." Aussi, la tension érotique entre Marie et Henri est très forte, et ce dès la première scène où ils apparaissent ensemble. Ils ressemblent à un couple d'amoureux, riant et badinant. D'ailleurs, personne n'est dupe tant leur amour est éclatant.
Plus tard, la notion de désir sera abordée par la jeune femme qui, après une nuit de noces traumatisante, s'éveille à la sensualité et au désir lorsqu'elle surprend Joséphine, une de ses suivantes, en pleins ébats sexuels. C'est Chabannes qui répondra aux questions sur le désir que lui pose la jeune femme. Cette dernière se demande si "l'idée du péché est-ce déjà pécher ?". Il lui répond que l'idée sans l'envie, non, mais elle continue : "et l'idée avec l'envie ?". Marie semble donc perturbée par le désir qu'elle ressent envers Guise.
Ainsi, cet amour passionnel semble tellement puissant qu'il conduit inévitablement à la déception. Guise semble lui-même se méprendre sur ses propres sentiments. Tout porte à croire qu'il tente autant de se convaincre que de convaincre Marie de la force de son amour. Il renonce à Madame (fille de la famille royale) mais, contrairement à Chabannes, sa décision est intéressée, il souhaite obtenir de Marie une récompense en dédommagement. La jeune héroïne est trompée par ses preuves d'amour. D'ailleurs, dès qu'elle s'éloigne de lui, il semble l'oublier avec une grande facilité car il "laissa peu à peu éloigner de son âme le soin d'apprendre des nouvelles de la princesse de Montpensier". Enfin, il tombe amoureux de la marquise de Noirmoutier et ressent pour elle une passion démesurée "et qui lui dura jusques à la mort", ce qui prouve bien que son amour pour Marie était exagéré alors qu'elle a tout sacrifié pour lui. Une fois sa réputation perdue, elle ne peut la récupérer.
Madame de Lafayette semble vouloir enseigner à ses lecteurs sa conception de l'amour. Selon elle, la passion peut mettre en péril ceux qui en sont la proie car elle peut conduire à la mort. Elle concède donc à ce sentiment une force incroyable, capable de faire plier la vertu et la raison. C'est pour cela que le mariage arrangé, l'amour raisonnable ou platonique apparaissent comme un moindre mal et sont préférables aux affres de la passion.
L'amour passionnel semble donc impossible à contrôler. Il fait souffrir tous ceux qui en font l'expérience, que ce soient des femmes ou des hommes valeureux ayant fait leurs preuves sur le champ de bataille. L'amour est donc une force aliénante qui provoque beaucoup de souffrance.
La souffrance liée à l'amour
La mère de Marie semble donc lui donner un conseil avisé quoique triste en lui expliquant l'intérêt que peut avoir une femme à se dégager de toute relation amoureuse. Bien entendu, cela concerne l'adultère qui va à l'encontre des règles de la vertu mais aussi les relations entre mari et femme. Dans La Princesse de Clèves, la mère de la jeune héroïne avait également conseillé à sa fille d'être vertueuse et d'exclure tout sentiment amoureux de sa vie. En effet, pour les précieux et les classiques de l'époque, l'amour est un trouble capable d'ébranler les âmes les plus pures et les plus vertueuses. D'ailleurs, le mot "trouble" est répété à de nombreuses reprises, il peut avoir de graves conséquences car sous son emprise, le personnage n'est plus maître de lui-même. C'est le cas pour Marie qui, face à Guise et à la passion qu'elle ressent, ne semble plus capable d'agir raisonnablement. La jeune femme a conscience que cette attirance n'est pas compatible avec la morale et la vertu. Ses sentiments, contradictoires, la déchirent et la font souffrir. Ainsi, lorsqu'elle accepte de recevoir Guise, sa décision ressemble davantage à un renoncement provoqué par l'épuisement : elle "ne put refuser son cœur à un homme qui l'avait possédé autrefois et qui venait de tout abandonner pour elle".
Cependant, Marie n'est pas la seule à pâtir de cet amour. S'il n'est pas assouvi, il peut faire souffrir les personnages qui aiment sans retour. C'est le cas de Chabannes qui est prêt à tout sacrifier pour celle qu'il aime. Le prince de Montpensier souffre également de sa jalousie. Le film insiste sur les nombreuses confrontations. Celles-ci, de plus en plus violentes, illustrent l'évolution du prince de Montpensier. Alors qu'il paraît timide au début de sa relation avec Marie, attentif à sa femme, il explose après le dîner au cours duquel il a senti l'attirance que son épouse provoquait chez les autres hommes. Il fait preuve de violence en frappant violemment un meuble à côté de lui, comme incapable de se contrôler. L'acteur jouant le prince de Montpensier dans le film a même cassé le meuble du XVIe siècle en frappant dessus. Ces scènes font écho à la nouvelle où la violence de Philippe est également évoquée. Il "s'emporta contre elle avec des violences épouvantables, et lui défendit de parler jamais au duc de Guise." C'est encore à cause de sa jalousie qu'il perdra définitivement sa femme à la fin du film. Il est montré en train de lui parler à travers la porte. Touchée par ce qu'il dit, elle est prête à lui ouvrir, mais se retient lorsqu'il dit : "rien ne vous assure de la continuité de sa passion" en parlant de Guise. En laissant sa colère et sa jalousie lui dicter ses paroles, Philippe perd complètement sa femme. Cette relation ne fonctionne pas, alors qu'il y est autorisé car il s'agit d'une relation maritale. Cela prouve encore une fois que la mère de Marie avait raison lorsqu'elle conseillait à sa fille de s'éloigner de tout sentiment amoureux.
La dernière scène du film peut donc faire écho à cette phrase prononcée par la mère de Marie au début du film. La jeune femme y est montrée, seule, s'éloignant de la chapelle où elle est venue se recueillir et rendre hommage à Chabannes, le seul homme qui l'ait jamais véritablement aimée, sans rien attendre en retour. Après s'être rendu compte que l'amour passionnel qu'elle éprouvait pour Guise n'était pas véritable, elle abandonne son mari et déclare souhaiter se retirer de l'amour comme Chabannes l'avait fait de la guerre. L'amour est donc une passion à fuir si l'on souhaite avoir une âme apaisée et vertueuse car tous les personnages de la nouvelle ont souffert par amour.