Après avoir lu le texte suivant, répondre aux questions qui permettront de l'étudier.
Les Rayons et les Ombres
Victor Hugo
1840
« Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
[…]
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
Il voit, quand les peuples végètent !
Ses rêves, toujours pleins d'amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour. […]
Peuples ! Écoutez le poète !
Écoutez le rêveur sacré :
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n'est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots. [...]
Il rayonne ! Il jette sa flamme
Sur l'éternelle vérité !
Il la fait resplendir pour l'âme
D'une merveilleuse clarté.
Il inonde de sa lumière
Ville et désert, Louvre et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs ;
À tous d'en haut il la dévoile ;
Car la poésie est l'étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs ! »
Quel est le mètre employé dans ce poème par Victor Hugo ?
Le mètre employé dans ce poème est l'octosyllabe. Chaque vers fait donc 8 syllabes. Il ne faut pas oublier la règle du -e caduc. Un -e en fin de mot ne se prononce que si le mot suivant commence par une consonne. Le -e qui se trouve à la fin d'un vers ne se prononce pas. Ainsi dans le vers « Comme une torche qu'il secoue » on prononce les syllabes suivantes : « Comm(e) u-ne tor-che qu'il se-cou(e) ». On prononce « comme » en une seule syllabe car le mot qui le suit « un » commence par une voyelle. « Une » et « torche » se prononcent en deux syllabes car les mots qui les suivent commencent par une consonne.
Quel champ lexical domine dans tout le poème ?
C'est le champ lexical de la lumière qui domine. Les termes sont très nombreux : « torche », « flamboyer », « ombre », « éclairé », « rayonne », etc. L'emploi de ce champ lexical particulièrement abondant fait écho au titre du recueil, Les Rayons et les Ombres. De plus, cet emploi met en évidence le rôle du poète. En effet, il est celui qui éclaire les hommes et qui leur montre l'avenir en combattant l'ignorance et le mensonge (c'est-à-dire l'obscurité des âmes).
Quelle image le champ lexical du divin donne-t-il du poète ?
« Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs. [...]
Peuples ! Écoutez le poète !
Écoutez le rêveur sacré [...]
Dieu parle à voix basse à son âme [...]
Car la poésie est l'étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs ! »
Le poète est l'intermédiaire entre Dieu et les hommes. Il est donc une sorte de messie. Un messie est un libérateur désigné et envoyé par Dieu. Le messie est donc investi d'une mission divine. Le poète a les mêmes missions qu'un messie : sauver les hommes et instaurer un monde meilleur (« Le poète en des jours impies/ Vient préparer des jours meilleurs ») et porter aux hommes la parole de Dieu (« Peuples ! Écoutez le poète ! / Écoutez le rêveur sacré / Dieu parle à voix basse à son âme »).
Dans le passage suivant, quelle dimension du poète est mise en avant ?
« Ses rêves, toujours pleins d'amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour. »
Pour Victor Hugo, le poète est un visionnaire. Il entraperçoit l'avenir, le pressent, mais il ne le voit pas da manière nette et précise. Le poète inspiré par une dimension supérieure, perçoit l'avenir dans ses « rêves » comme le montre l'usage du futur de l'indicatif (« Les choses qui seront un jour »). Mais cette vision est floue comme en témoigne l'emploi du terme « les choses » qui est une manière vague de désigner des objets ou des entités abstraites. Ce terme, volontairement imprécis, est tout de même renforcé par un article défini « les » qui, associé au futur de l'indicatif, montre que ces « choses » finiront par arriver, se réaliser.
Quelle est la figure de style employée dans l'extrait « Ville et désert, Louvre et chaumière, / Et les plaines et les hauteurs » ?
L'antithèse est une figure de style qui consiste à rapprocher deux mots ou groupes de mots exprimant des idées contraires. Ici, la « ville » peuplée d'humains s'oppose au « désert » quasiment vide d'humains, le « Louvre » lieu de richesse s'oppose à la « chaumière », habitation modeste, les « plaines » (qui sont de vastes étendues plates) s'opposent aux « hauteurs ». Il y a de nombreuses autres antithèses dans ce poème : « Homme, il est doux comme une femme », ainsi que l'opposition, présente dans tout le poème, entre l'ombre et la lumière qui se retrouve jusque dans le titre du recueil, Les Rayons et les Ombres.
À travers l'emploi des antithèses, quel rôle Victor Hugo donne-t-il à la création poétique ?
La création poétique permet de créer un véritable lien entre des éléments qui s'opposent. Elle a un rôle unificateur. Elle a le pouvoir de rassembler, d'unir. Elle permet de montrer à l'homme la diversité du monde qui l'entoure. Ainsi les espaces (« plaines »/« hauteurs »), les humains (« hommes »/« femmes »), les lieux de vie (« ville »/« désert »), la richesse et la pauvreté (« Louvre »/« chaumière »), etc., sont rassemblés. La création poétique et, de ce fait, la parole du poète, acquièrent ainsi une dimension universelle car elles abolissent les frontières entre les lieux, les genres et le temps.
Quelle est la figure de style employée dans « Car la poésie est l'étoile / Qui mène à Dieu rois et pasteurs ! » ?
La figure de style employée est la métaphore. Ainsi, symboliquement, la poésie est comme l'étoile du berger. L'étoile du berger, dans la Bible, est celle qui a guidé les Rois mages jusqu'à la crèche qui abritait Jésus. La poésie et, de ce fait, le poète, guident les hommes vers le divin.
Quel procédé métrique est employé dans les deux vers « Des temps futurs perçant les ombres, / Lui seul distingue en leurs flancs sombres / Le germe qui n'est pas éclos. » ?
On parle d'enjambement quand un groupe syntaxique déborde sur le vers suivant de manière symétrique. Cela crée tout à la fois un effet de continuité et un effet de disharmonie. En effet, traditionnellement, la poésie fait correspondre la syntaxe et la métrique (un vers = une phrase). En employant de nombreux enjambements dans son poème, Victor Hugo propose une poésie plus moderne dont la diction se rapproche du langage parlé. Par cette prosodie, le poète parle aux hommes dans un langage qu'ils comprennent.
Quelle fonction Victor Hugo attribue-t-il au poète ?
Pour Victor Hugo, le poète est un être d'exception qui guide les hommes vers un monde meilleur (« Le poète en des jours impies / Vient préparer des jours meilleurs. »). C'est un humain privilégié qui fait le lien, l'intermédiaire, entre Dieu et les hommes (« Dieu parle à voix basse à son âme »). Le poète est capable de comprendre les mystères du monde (« Lui seul a le front éclairé. / Des temps futurs perçant les ombres, / Lui seul distingue en leurs flancs sombres / Le germe qui n'est pas éclos. »). Le poète perçoit donc le mystère et le transmet aux hommes (« À tous d'en haut il la dévoile »). Ainsi, le poète est un témoin privilégie de son temps qui fait le lien entre passé, présent et futur. Dans ce poème, Victor Hugo décrit avec beaucoup d'enthousiasme et d'exaltation la mission du poète qui est donc de soutenir les hommes, de les éclairer et de les guider dans leur vie.
En quoi la position du poète est-elle cependant paradoxale ?
Le poète doit s'adresser aux hommes pour les guider, les éclairer, mais il souffre de solitude. C'est un guide solitaire parfois incompris. L'idée de solitude est omniprésente dans tout le poème. En témoigne l'emploi anaphorique des termes « lui seul » et du pronom personnel « il » qui s'opposent à « les peuples ». Il est donc à l'écart des hommes mais ceci est le corollaire de son rôle de prophète qui fait de lui un être différent, à part.