Après avoir lu le texte suivant, répondre aux questions qui permettront de l'étudier.
« Brunain, la vache au prêtre », Fabliaux
Jean Bodel
XIIe siècle
« C'est l'histoire d'un paysan et de sa femme. Le jour de la fête de la Vierge, ils s'en vont prier à l‘église. Pendant l'office, naturellement, le prêtre fait son sermon. Il dit que si l'on comprend les choses on voit tout de suite qu'il fait bon donner beaucoup pour le Bon Dieu ; ce qu'on lui donne de tout son cœur, il vous le rend au double.
"Tu as entendu, ma femme, ce qu'a dit le curé ? fait le paysan. Celui qui donne de tout son cœur pour le Bon Dieu, il reçoit deux fois plus. Qu'est-ce que tu en penses ? Nous ne pouvons pas employer mieux notre vache qu'en la donnant au prêtre pour le Bon Dieu, je crois bien. Tu es d'accord ?
— D'accord, fait la femme. À cette condition-là, je veux bien. Je la donne."
Aussitôt dit, aussitôt fait. Ils s'en retournent chez eux. Le paysan entre dans l'étable, prend la vache par sa longe et va l'offrir au prêtre. Celui-ci était habile, et rusé. Il écoute.
"Beau Sire, dit le paysan, les mains jointes, pour l'amour de Dieu je vous donne Blérain."
Il lui met dans les mains la longe de la vache et il lui jure que maintenant sa femme et lui ne possèdent plus rien du tout.
"Ami, tu viens d'agir comme un sage, dit le curé Dom Constant qui ne pense jamais qu'à prendre. Va en paix, tu as très bien rempli tes devoirs. Si tous mes paroissiens étaient aussi sages que vous deux, j'aurais beaucoup de bêtes !"
Le paysan s'en va et le curé donne l'ordre à son clerc d'attacher Blérain (pour qu'elle prenne de nouvelles habitudes) avec sa propre vache Brunain, une belle vache assez grande. Le clerc la mène au pré, attache les deux vaches ensemble, puis il les laisse… La vache du curé se penche, elle veut paître. La vache du paysan, elle, ne veut pas se baisser, et elle tire sur sa longe, - elle tire tellement fort qu'elle entraîne Brunain hors du pré, qu'elle l'emmène avec elle, par les rues d'abord, puis par toutes les prairies et les cultures de chanvre. Elle tire, elle tire, elle tire toujours ! elle sait où elle va….La voici revenue à son étable ! Enfin ! Sa compagne était lourde à traîner !
Le paysan les voit. Il est tout joyeux :
"Ah ! ma femme, dit-il, c'était vrai ! C'est vrai ! Dieu est un bon « doubleur » ! Blérain revient avec une autre, une belle vache brune. Nous en avons deux pour une seule ! L'étable va être petite…"
Ce fabliau vous montre plusieurs choses. Il est bien fou celui qui ne se fie pas à la volonté divine. Les vrais biens ce n'est pas ceux qu'on cache dans la terre, ce sont les dons de Dieu. Personne ne peut rien multiplier s'il n'a pas beaucoup de chance, c'est la condition indispensable. Parce qu'il avait beaucoup de chance, le paysan eut deux vaches et le curé perdit la sienne. Tel croit avancer qui recule. »
Qu'est-ce que le prête explique dans son sermon ?
« Il dit que si l'on comprend les choses on voit tout de suite qu'il fait bon donner beaucoup pour le Bon Dieu ; ce qu'on lui donne de tout son cœur, il vous le rend au double. »
Le couple de paysans se rend à l'église pour assister à la messe car c'est le jour de la fête de la vierge. Le prêtre, dans son sermon, explique alors aux paroissiens qu'il faut donner volontairement une grande partie de ce qu'ils possèdent au Bon Dieu car ce dernier les récompensera en leur donnant le double. Les paroissiens sont censés comprendre que l'entraide et la générosité sont des qualités appréciées par Dieu et que pour être un bon chrétien il faut donner sans arrière-pensées.
Quelle est la véritable intention du prêtre ?
La véritable intention du prêtre est d'inciter les fidèles à donner ce qu'ils possèdent à l'Église pour qu'il en profite lui-même. Le narrateur explique que « le Curé Dom Constant qui ne pense jamais qu'à prendre », ce qui signifie qu'il s'accapare les dons des fidèles.
Pourquoi le couple de paysans donne-t-il sa vache ?
Les deux paysans, naïfs, stupides et avides, vont chez le curé et lui donnent leur unique vache, Blérain, dans le but d'en avoir deux. Ils ont compris les propos du curé au pied de la lettre. Ils ont donc compris au sens littéral ce que le prêtre disait au sens figuré. Ainsi, ils croient devoir donner tout ce qu'ils possèdent au curé pour que le Bon Dieu soit satisfait d'eux et qu'il leur en donne le double alors que le prêtre voulait simplement dire que Dieu récompense la générosité en étant bon avec ceux qui donnent.
Quel est le défaut commun au prêtre et aux deux paysans ?
Le prêtre et les deux paysans sont cupides, c'est-à-dire qu'ils sont avides d'argent et de biens. Le prêtre, alors qu'il devrait s'occuper des pauvres, les dépouille et garde les dons pour lui. Les paysans, qui devraient faire des offrandes sans rien attendre en retour, devraient donner dans le but d'aider leur prochain alors qu'ils donnent dans le but d'obtenir plus.
Pourquoi la vache revient-elle chez les deux paysans ?
La vache a été mal attachée. Dans le fabliau, le clerc attache Blérain avec la vache du prêtre, Brunain. Mais Blérain, qui veut brouter dans le pré d'à côté, finit par entraîner Brunain avec elle jusqu'à son ancien logis (« La vache du curé se penche, elle veut paître. La vache du paysan, elle, ne veut pas se baisser, et elle tire sur sa longe, - elle tire tellement fort qu'elle entraîne Brunain hors du pré, qu'elle l'emmène avec elle, par les rues d'abord, puis par toutes les prairies et les cultures de chanvre. Elle tire, elle tire, elle tire toujours ! elle sait où elle va… La voici revenue à son étable ! »)
Quelle forme de ruse le prêtre a-t-il utilisée pour dépouiller ses fidèles ?
Le détournement par la parole repose sur la bonne maîtrise du langage, sur l'intelligence du rusé et sur son art de la manipulation. Le personnage rusé parvient à retourner la conversation à son avantage pour renverser la situation, pour dominer l'autre. Dans ce fabliau, le prêtre profite de la naïveté et du peu d'éducation des paysans. Ainsi, il joue sur le double sens de sa phrase « ce qu'on lui donne de tout son cœur, il vous le rend au double ». Il sait très bien que les paysans le comprendront au sens littéral alors que ces paroles sont à prendre au sens figuré.
Quels types de comiques sont présents dans ce fabliau ?
Dans ce fabliau, on repère :
- tout d'abord, du comique de mots : en effet, il y a un jeu sur le sens propre et le sens figuré des paroles du prêtre que les paysans comprennent mal. Le comique de mots se retrouve également lorsque le prêtre dit « Si tous mes paroissiens étaient aussi sages que vous deux, j'aurais beaucoup de bêtes ! ». Il se moque indirectement de la stupidité des paysans grâce auxquels il s'enrichit personnellement ;
- ensuite, du comique de situation : car il y a un retournement de situation. En effet, les paysans se retrouvent avec deux vaches et le prêtre sans rien. C'est l'arroseur arrosé, le trompeur trompé ;
- enfin, du comique de caractère : ce fabliau se moque de la cupidité et de l'hypocrisie du prêtre mais aussi de la crédulité des paysans.
Quelle est la morale de cette histoire ?
La morale de ce fabliau est exprimée explicitement dans le dernier paragraphe. C'est une morale multiple. L'auteur veut montrer qu'une mauvaise action est toujours punie alors qu'une bonne action est récompensée et qu'il faut donc toujours agir avec générosité et sans arrière-pensées.
Que critique ce fabliau ?
Dans ce fabliau, les paysans sont deux personnages naïfs et que l'on peut duper facilement. C'est leur manque de réflexion qui est critiqué. Ce fabliau dénonce aussi la cupidité des prêtres dans une époque où l'Église est très présente et domine souvent les plus faibles. Les prêtres ne cherchent pas à aider les plus pauvres. Bien au contraire, ils profitent d'eux et n'hésitent pas à les dépouiller pour s'enrichir eux-mêmes.
Quelle est la finalité de cette ruse ?
Les fabliaux utilisent la ruse pour provoquer le rire chez le lecteur et le spectateur. Ils ont pour fonction de plaire et de divertir. Les histoires des fabliaux sont généralement courtes et se lisent rapidement. Le lecteur s'en amuse. Ici, le lecteur s'amuse de la mésaventure du prêtre qui se retrouve sans aucune vache.