Le nœud dramatique Exercice fondamental

Les règles du théâtre classique structurent l'intrigue en cinq actes qui s'ouvrent avec la scène d'exposition et s'achèvent par le dénouement. Entre les deux, les péripéties qui rythment l'action interviennent comme conséquence du nœud de la pièce. Nous verrons dans un premier temps le rôle du nœud dans l'intrigue dramatique puis son importance au niveau du schéma actanciel.

Tout d'abord, le nœud se définit comme le moment où se nouent toutes les tensions, tous les conflits auxquels va devoir faire face le protagoniste. C'est l'équivalent de l'élément perturbateur dans le schéma narratif. Il suit généralement la scène d'exposition qui permet au spectateur de comprendre la situation de départ avant que n'intervienne un bouleversement face auquel les personnages de la pièce ne vont pas avoir d'autres choix que de réagir. S'il intervient le plus souvent au début, au cours du premier acte voire dans la scène d'exposition elle-même, le nœud peut être retardé au choix du dramaturge voire précéder la première scène comme c'est le cas par exemple dans la tragédie humaniste de Jodelle, Didon se sacrifiant : la pièce débute en effet après qu'Énée ait décidé de quitter Carthage en abandonnant sa maîtresse désespérée qui va passer son temps sur scène à le supplier de retarder son départ avant de décider de se suicider. Corneille, dans son Discours des trois unités d'action, de jour et de lieu écrit que : "Le nœud est composé, selon Aristote, en partie de ce qui s'est passé hors du théâtre avant le commencement de l'action qu'on y décrit et en partie de ce qui s'y passe". Tous les enjeux de l'intrigue viennent donc s'y concentrer. Ainsi, dans sa pièce Le Cid, le dramaturge noue les enjeux de l'intrigue autour du dilemme de Chimène : la tension entre son devoir envers son père et son amour pour Rodrigue forme le nœud dramatique. Le nœud prend donc souvent la forme d'un conflit ou d'un dilemme : dans Phèdre, il s'agit du conflit des sentiments de la reine, en proie à un amour incestueux. Le dénouement est alors tragique puisque la seule solution au nœud dramatique est la mort de la protagoniste. Comme souvent, ici, le conflit est d'ordre moral : le nœud dramatique vient en effet illustrer les questionnements moraux que pose la pièce au spectateur. Dans la comédie, il se résout plus traditionnellement par un retour à l'ordre, la célébration de l'ordre établi permis parfois par le Deus ex machina. Ainsi, dans L'École des femmes, le nœud qui s'était formé autour du quiproquo et de la rivalité amoureuse entre Horace et Arnolphe se solutionne par l'évacuation du barbon amoureux qui ne parvient pas à s'adapter pour trouver sa place dans la société.

Dans un second temps, le nœud dramatique joue également un rôle au niveau du schéma actanciel. Ce dernier fait entrer en relation six sphères d'action que l'on appelle également des actants : il s'agit du sujet, de l'objet, de l'opposant, de l'adjuvant, du destinataire et du destinateur. Le sujet désire l'objet. L'adjuvant l'aide dans l'accomplissement de ce désir, tandis que l'opposant tente d'en empêcher la réalisation. Le destinateur, garant du système de valeurs établies propre au récit, va confier une mission au sujet, mission qui ne coïncide pas forcément avec le désir de celui-ci et transmettra, en fin de compte, son jugement au destinataire. C'est au moment du nœud dramatique que se met en place le système de conflits qui structure le schéma actanciel et qu'émerge le désir souvent contrarié du sujet pour l'objet, ou que le destinateur confie la mission au sujet. Ainsi, dans L'Avare de Molière, le nœud de l'action réside dans les projets de mariage d'Harpagon, à la fois pour lui avec la jeune Marianne, et pour ses enfants à qui il ne demande pas leur avis. Se met alors en place un schéma actanciel au centre duquel Harpagon, le sujet, dispose de peu d'adjuvants mais de beaucoup d'opposants pour atteindre un but que le spectateur ne peut pas encourager : le nœud programme alors l'échec du personnage caricatural que la comédie condamne par le rire moqueur qu'elle cherche à susciter.