"La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n'est pas complète", écrit Victor Hugo dans la Préface d'Hernani. En quoi la liberté de création permet-elle aux auteurs comme Victor Hugo d'atteindre une forme de sagesse afin de la partager avec ses spectateurs ?
Que permet la liberté de création à l'auteur ?
Quel est le principal objectif de toute création ?
Parmi les propositions suivantes, laquelle correspond le mieux à la définition de la sagesse ?
Comment la liberté peut-elle être sagesse ?
Comment un auteur peut-il acquérir davantage de sagesse ?
"La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n'est pas complète", écrit Victor Hugo dans la Préface d'Hernani. Liberté et sagesse semblent donc indissociables selon l'auteur. La liberté est tout ce qui permet à l'homme de s'accomplir : liberté de penser aussi bien que de s'exprimer. Pourquoi penser et s'exprimer si ce n'est pour développer sa réflexion et atteindre une forme de sagesse ? Par la liberté, l'homme se détache de ce qui peut entraver sa pensée pour acquérir une indépendance dans l'analyse du monde qui l'entoure. La sagesse est la posture qui permet à l'esprit de confronter des opinions dans la tolérance, la modération et le respect pour évoluer et tendre vers une réflexion toujours prudente et approfondie.
Ainsi il est intéressant de se demander en quoi la liberté de création permet aux auteurs comme Victor Hugo d'atteindre une forme de sagesse afin de la partager avec ses spectateurs. Pour répondre à cette question, nous envisagerons d'abord la manière dont s'accomplit cette liberté de création pour comprendre comment elle permet d'atteindre la sagesse. Enfin nous réfléchirons à la manière dont la création peut devenir un modèle de sagesse à partager.
La liberté de création, pour un art sans contrainte
La liberté de Victor Hugo dans la création s'exprime dans le choix de ses propres règles poétiques et dramaturgiques. En effet, il rompt avec la tradition classique en s'octroyant la liberté de créer un nouveau genre : le drame romantique. Il rejette la règle des trois unités, déplace ses personnages dans des lieux différents et opère des ellipses temporelles autour d'une action principale et de plusieurs actions secondaires. Ainsi il réinvente le genre théâtral autour de prises de libertés formelles, de plus en plus grandes. Il utilise la démesure baroque, ne redoutant pas l'invraisemblance mais cultivant une forme d'extravagance à travers l'ambiguïté des personnages par exemple : le roi Don Carlos alterne entre un vocabulaire prosaïque et des envolées lyriques.
Par ailleurs, Victor Hugo, dans Hernani, cultive sa liberté stylistique : il mêle différents registres de langue, utilise des termes familiers ou triviaux au cœur de ses alexandrins, ainsi que de multiples hyperboles. Il cherche ainsi à toucher un public large, qui peut s'identifier à ses personnages plus facilement. Avec cette liberté stylistique, Victor Hugo rompt avec les attentes du public qui ne reconnaît plus les codes classiques. La liberté de création de la pièce offre au public la liberté de se débarrasser lui aussi de ses contraintes.
Par conséquent, la pièce affranchie de ses entraves libère son potentiel : tout devient envisageable à la fois pour le créateur, le personnage et le spectateur dans la salle. Ainsi, libérer l'art de ses contraintes permet de libérer le créateur qui offre à ses personnages la capacité de faire leurs propres choix, libérés de toute fatalité avec la possibilité d'évoluer et de devenir plus sages. En libérant le personnage, Victor Hugo libère le spectateur qui à son tour devient en mesure de faire ses propres choix et de réagir comme bon lui semble : devenant lui aussi plus autonome et réfléchi, il peut partager l'expérience du personnage.
En se défaisant des contraintes formelles, Victor Hugo a libéré non seulement son acte de création et son style mais aussi ses personnages et son public. Libérer l'art semble donc devenir un moyen pour chacun de prendre davantage de distance, de réflexion et de sagesse.
La libéralisation de l'art, pour une forme de sagesse
Par la libéralisation de l'art, Victor Hugo ouvre la voie à une littérature engagée dans son époque et sa politique. Libérée de ses contraintes, elle offre la possibilité aux auteurs d'exprimer librement leur point de vue, de confronter les problématiques contemporaines pour faire réfléchir le spectateur et l'impliquer dans le monde qui l'entoure. La liberté conduit à la réflexion : sorti des conventions, l'auteur fait ses propres choix. Autonome, il prend l'entière responsabilité de ses opinions et de la manière de les exprimer.
Ainsi, dans Hernani, Victor Hugo propose une réflexion autour de la notion de pouvoir. Lorsque Don Carlos devient empereur, l'auteur, par le biais de la tirade du personnage, questionne la responsabilité et les valeurs qui incombent aux détenteurs du pouvoir face au peuple. Le choix de la clémence de Don Carlos a heurté le souci de vraisemblance du public ; pourtant ce choix mûrement pensé est porteur de sens. Il montre au peuple une nouvelle voie, celle d'un système qui reposerait sur des valeurs morales nobles et un pouvoir respectueux des responsabilités qui sont les siennes.
En exerçant sa liberté de création, l'auteur ne peut se cacher derrière ses prédécesseurs. Chacune de ses décisions, qu'elle concerne la forme ou le fond, peut prêter à débat au cœur même de son propre mouvement. Par exemple, la question du prosaïsme et de la versification dans Hernani a suscité la polémique entre les romantiques. Stendhal revendique un drame tout en prose quand Victor Hugo décide de conserver l'alexandrin en lui apportant un rythme brisé, proche de la prose mais aussi noble que de la poésie. Ainsi, l'auteur, en justifiant ses choix, montre que chaque élément de son drame est préparé, pensé et a donc nécessité au moment de sa création une réflexion profonde et engagée, à la mesure du message que souhaitait transmettre l'auteur.
La libéralisation de l'art entraîne une responsabilité accrue pour l'auteur, qui ne se contente plus de copier le modèle des Anciens. Il doit faire ses propres choix et les défendre pour partager ses idées et s'impliquer au cœur de son époque.
L'art et la liberté, des modèles à partager
L'art et la liberté, dès lors qu'ils sont liés, prennent une dimension intemporelle et universelle. Une création libre est une création en mesure de transmettre des messages forts voire choquants et source de remises en question. Les auteurs, grâce à cette liberté artistique, voient s'accroître leur autonomie et leur responsabilité. Ils doivent alors prendre le temps de construire leur œuvre en rupture ou en adéquation avec les mouvements contemporains pour exprimer leur propre point de vue et le partager avec leur public.
Le public a alors le choix d'adhérer ou de rejeter les œuvres artistiques selon son propre point de vue sur l'art ou le message qu'il véhicule. Ainsi, avec Hernani, le public se voit confronté à un besoin de renouvellement. Il ne peut plus être passif et doit lui aussi développer son autonomie et prendre ses responsabilités face aux enjeux politiques. Il partage donc avec l'auteur sa capacité à mûrir et à devenir plus sage au fil du temps.
Voilà pourquoi libérer la création et la réception d'une œuvre revient à libérer la capacité de chacun à penser, à confronter ses opinions et à tendre ainsi vers davantage de sagesse. Le créateur devient modèle dans son aptitude à analyser et à prendre du recul face au monde qui l'entoure. La création devient quant à elle un modèle, miroir de la société et de son fonctionnement. Ainsi la sagesse, acquise par l'auteur et sa création, devient source d'inspiration pour ses successeurs, modèle de pensée, modèle d'engagement.
La liberté de création acquise par Victor Hugo au prix d'une virulente bataille ne se cantonne pas à une liberté dramaturgique et stylistique qui ne serait que formelle. Cette liberté confère à l'œuvre une dimension universelle et intemporelle, lui offrant le statut de modèle : modèle dans ses choix audacieux et controversés, modèle de renouveau littéraire et artistique, modèle de liberté d'expression. Ainsi l'art et la liberté indissociables apportent davantage de responsabilités et de sagesse aux auteurs comme à leur public, qui se voient investis d'une mission d'analyse et de réflexion sur le monde. L'art devient alors politique et peut avoir une lourde incidence sur son temps. Il doit donc être produit dans un souci de sagesse et de responsabilité. "Longtemps j'ai pris ma plume pour une épée", témoigne Jean-Paul Sartre, car la littérature prend désormais conscience de ses responsabilités, elle a le pouvoir de changer le monde au même titre qu'une bataille guerrière. Mais contrairement à l'épée, la plume doit savoir faire preuve de mesure, de sagesse pour offrir au monde un modèle de pensée tolérant et respectueux.