Comment la liberté de l'auteur se manifeste-t-elle dans Hernani ?
Quelles libertés Victor Hugo s'est-il octroyé dans l'écriture d'Hernani ?
Quelles libertés Victor Hugo a-t-il prises sur scène avec les acteurs d'Hernani ?
Quel débat oppose les romantiques concernant les libertés formelles prises par Victor Hugo ?
Quelle liberté Victor Hugo apporte-t-il à la littérature de son époque ?
Les libertés acquises par Victor Hugo ont-elles perduré durant les siècles suivants ?
Dans Hernani, Victor Hugo a fait le choix d'exprimer sa conception de l'art et de définir une nouvelle esthétique littéraire, propice à la liberté et à la créativité de la jeunesse. Ainsi il se détache des règles classiques pour opérer ses propres choix dramaturgiques et poétiques. Il libère la parole sur scène comme dans la salle, offrant un nouvel espace de débat, à la fois esthétique et politique. Événement opposant deux générations, la "bataille d'Hernani" est devenue le point de départ d'une littérature engagée et libérée des contraintes formelles.
Il est donc intéressant de s'interroger sur la manière dont se manifeste la liberté de l'auteur dans Hernani. Pour répondre à cette question, nous envisagerons d'abord les libertés formelles prises par l'auteur avant de considérer leurs conséquences sur scène et dans la salle. Enfin nous réfléchirons à la portée de ces prises de libertés sur la littérature du XXe siècle.
Des libertés dans la forme : genre et style
Dans son recueil poétique Les Contemplations publié en 1856, Victor Hugo affirme : "Les auteurs ont mis la langue en liberté." Avec le classicisme, la langue était en effet soumise à des contraintes formelles que les jeunes romantiques ont dépassées. Libérée des règles, la langue a retrouvé son autonomie et son potentiel. Ainsi, dans Hernani, Victor Hugo a appliqué à son écriture le choix d'une versification brisée. En utilisant l'enjambement et le rejet, il crée un rythme plus prosaïque donc beaucoup plus naturel. Par l'emploi d'un vocabulaire du quotidien, par exemple en évoquant le placard à balais dès la scène 1, il place son drame dans un contexte proche de celui du spectateur qui peut alors aisément s'identifier aux personnages. Toutefois il ne cantonne pas son style à une écriture prosaïque. Ses personnages, comme Don Carlos dans l'acte IV, sont dotés d'une capacité à élever leur langage dans un registre lyrique. Il étend ainsi le champ des registres et des niveaux de langage de son drame.
De plus, Victor Hugo s'éloigne des contraintes liées au genre. Il mêle à la fois les caractéristiques de la comédie et celles de la tragédie. Il multiplie les emplois du comique de situation avec des quiproquos comme dans l'acte I sur l'identité du roi et dans l'acte III sur l'identité du pèlerin. Pourtant, il fait appel à des personnages propres à la tragédie comme Don Carlos et achève son drame par la mort des héros. Il remet en question la notion de fatalité, en offrant à ses personnages la possibilité d'accomplir leurs propres choix, autour des questions de l'amour et de l'honneur.
La liberté de Victor Hugo s'exprime donc dans l'écriture d'Hernani à travers un style libéré des contraintes et la possibilité de mêler les caractéristiques des genres. Mais cette liberté ne se limite pas au processus de création de la pièce : elle s'applique aussi à la scène lors des représentations ainsi que dans la salle.
Des libertés sur scène et dans la salle
En effet, Hernani incarne le symbole même de la liberté : liberté de création artistique de la part de l'auteur et liberté d'expression et de représentation sur scène comme dans la salle. Les romantiques comme Alexandre Dumas ont témoigné du travail de préparation mené par Victor Hugo auprès des comédiens d'Hernani. La notion de mise en scène trouve ici tout son sens. Une plus grande liberté est accordée aux comédiens, leur jeu de scène a été minutieusement affranchi des contraintes de bienséance et de vraisemblance jusque-là admises. Ce que souhaite Victor Hugo, c'est une véritable incarnation, le comédien doit devenir le personnage qu'il joue afin que l'illusion théâtrale fonctionne. Il révolutionne donc également les techniques de mise en scène. Les opposants classiques ont critiqué leurs éclats de voix et cris excessifs sur la scène, les comparant même à des "épileptiques", ce dont Victor Hugo est responsable.
Dans la salle même, toute notion de bienséance a été évincée au profit d'une attitude provocatrice de la part des spectateurs romantiques qui soutiennent l'auteur. Mal coiffés, mal habillés, se permettant de crier, de manger, d'insulter et de vandaliser les lieux, les jeunes romantiques incarnent les brigands d'Hernani, menés par Victor Hugo en personne. Solidaires dans leur jeu de spectateurs enflammés, ils raillent les partisans du classicisme et leurs tenues bourgeoises et applaudissent excessivement les audaces de Victor Hugo. C'est une jeunesse et un auteur assoiffés de libertés qui expriment leur besoin de rompre avec toute forme de tradition. Ainsi les libertés prises par l'auteur lors de la création de la pièce résonnent au moment de la réception par l'accueil que lui font les spectateurs romantiques.
La liberté de Victor Hugo ne s'exprime donc pas seulement dans la création de sa pièce. Elle s'exprime aussi dans le processus de diffusion et de réception de la pièce. Alimentant le scandale, menant la bataille, Victor Hugo gagne peu à peu des libertés durables dont profiteront les auteurs après lui.
Des libertés transmises aux générations futures
Hernani est ainsi devenue un symbole de rupture et de renouveau littéraire. Victor Hugo ne s'est pas contenté de critiquer ou de dénaturer le travail des classiques, ses prédécesseurs du XVIIe siècle. Au contraire, il a respecté leur œuvre et montré leur valeur compte tenu de leur époque sans pour autant perdre la vigueur nécessaire à sa bataille.
Rassemblant la jeunesse romantique autour d'une quête vitale de liberté, il a fait entrer la littérature dans le champ de la politique. En conférant à la littérature une telle influence sur le peuple au moment de la réception d'Hernani, il a permis aux générations futures de considérer leurs œuvres comme des moyens de s'engager pleinement dans leur temps. Lorsque Jean-Paul Sartre écrit en 1964 : "Longtemps j'ai pris ma plume pour une épée", il est aisé de comprendre l'influence qu'a pu avoir l'engagement de Victor Hugo un siècle avant lui. Il a conféré à l'art une dimension politique, philosophique et universelle.
Voilà pourquoi la question de la liberté dans le travail de Victor Hugo est primordiale : source de créativité, moteur dans la diffusion et la réception de la pièce, actrice dans sa longévité, elle est l'essence même de la réussite hugolienne. Davantage encore qu'un manifeste, Hernani a permis la concrétisation de cette liberté sous tous ses aspects : dans le langage, dans la forme et le genre, dans la représentation sur scène comme dans la salle, l'effet a été indéniable. Au-delà d'un modèle de drame romantique, Hernani est devenue le symbole de la libéralisation de l'art, de son implication au cœur de l'histoire.