La crise du roman au XXe siècle Exercice fondamental

L'engouement pour le roman se confirme au XXe siècle qui voit le développement du roman-fleuve comme Les Thibault de Roger Martin du Gard, Les Hommes de bonne volonté de Jules Romains. La production éditoriale s'en ressent puisque l'on n'a jamais autant édité et lu de romans qu'au XXe siècle. Cependant, ce succès s'accompagne d'une crise du roman à partir des années 1920. Celle-ci culmine ensuite avec le mouvement du Nouveau Roman dans les années 1950.

La crise du roman au XXe siècle s'ancre dans une remise en cause radicale des conventions narratives, de la vraisemblance, du réalisme du roman traditionnel. Elle se caractérise par une dynamique de recherches et expérimentations formelles que l'on retrouve par exemple chez James Joyce dans Ulysse, œuvre emblématique de l'explosion de la narration linéaire. L'écriture romanesque au XXe siècle refuse notamment le narrateur omniscient et préfère un point de vue éclaté entre plusieurs personnages : Les Faux-Monnayeurs d'André Gide, avec sa mosaïque de points de vue et d'intrigues secondaires, illustre bien cette dispersion revendiquée de la narration. Le surréalisme est marqué par cette nécessité de couper, de créer des ruptures, pour mieux recoller, recréer du lien. Le roman surréaliste d'Aragon, Le Paysan de Paris, dans sa dimension labyrinthique, montre par le motif de l'errance cette recherche de formes nouvelles propres au roman du début du XXe siècle. Cette dynamique de remise en question touche également le statut du personnage : l'anti-héros du XIXe siècle devient un homme sans qualités pour reprendre l'appellation de l'auteur autrichien Musil. Meursault dans L'Étranger de Camus et Bardamu dans Voyage au bout de la nuit de Céline sont emblématiques de ce nouveau type de héros romanesque, sans relief ni profondeur et qui vit une existence privée de sens, fragmentaire.

Cette remise en question, à la fois des formes narratives et du statut du personnage de roman, culmine avec la déconstruction du roman dans les années 1950 : c'est le mouvement du Nouveau Roman qui inaugure "l'ère du soupçon", selon le titre d'un essai de Nathalie Sarraute. Contrairement aux romans du XIXe siècle qui cherchaient à dévoiler les ressorts de l'âme humaine, le Nouveau Roman se méfie du personnage : le narrateur ne donne plus accès à l'intériorité du personnage qui est beaucoup moins caractérisé, beaucoup plus anonyme, au point souvent de ne même pas avoir de nom comme chez Sarraute qui le remplace par les pronoms personnels, ou un simple prénom, le plus banal possible comme Chauvin dans Moderato Cantabile de Duras. La narration ne décrit donc pas le personnage ni ses états d'âme, ne montre pas ses origines ou son histoire familiale : les objets et les choses ont plus d'importance. En supprimant le personnage, l'auteur cherche à forcer le lecteur à s'identifier non plus au héros du roman mais à l'écrivain lui-même et à son acte créateur sur lequel il doit porter un regard critique plutôt qu'influencé par des émotions que déclencherait une intrigue plus riche. La narration, qui expérimente de nouvelles modalités, va parfois jusqu'à prendre directement le lecteur à parti comme dans La Modification de Michel Butor, dont l'histoire est racontée à la seconde personne du singulier. En effet, les auteurs du Nouveau Roman cherchent à saisir le rien de l'existence, le néant par l'écriture, comme Robbe-Grillet dans Les Gommes dont l'écriture repose sur le manque et la lacune. Pour finir, l'OuLiPo (l'Ouvroir de Littérature Potentielle), fondé notamment par Queneau et son livre Exercices de style dans les années 1960, prend le contrepied de cette démarche de rejet des règles traditionnelles en proposant une expérimentation sur les formes qui passe justement par l'imposition de contraintes très fortes. Perec par exemple, dans La Disparition, écrit en supprimant tous les "e" : ce choix d'écriture extrêmement contraignant est cependant très signifiant et très riche d'interprétation.