Après avoir lu le texte suivant, répondre aux questions qui permettront de l'étudier.
Guy de Maupassant
La Morte
1887
« J'entendais battre mon cœur ! Et j'entendais autre chose aussi ! Quoi ? Un bruit confus innommable ! Était-ce dans la tête affolée, dans la nuit impénétrable, ou sous la terre mystérieuse, sous la terre ensemencée de cadavres humains, ce bruit. Je regardais autour de moi !
Combien de temps suis-je resté là ? Je ne sais pas. J'étais paralysé par la terreur, j'étais ivre d'épouvante, prêt à hurler, prêt à mourir.
Et soudain il me sembla que la dalle de marbre sur laquelle j'étais assis remuait. Certes, elle remuait, comme si l'on eût soulevée. D'un bond je me jetai sur le tombeau voisin, et je vis, oui, je vis la pierre que je venais de quitter se dresser tout droite ; et le mort apparut, un squelette nu qui, de son dos courbé, la rejetait. Je voyais, je voyais très bien, quoique la nuit fut profonde. Sur la croix je pus lire : "Ici repose Jacques Olivant, décédé à l'âge de cinquante et un ans. Il aimait les siens, fut honnête et bon, et mourut dans la paix du Seigneur."
Maintenant le mort aussi lisait les choses écrites sur son tombeau. Puis il ramassa une pierre dans le chemin, une petite pierre aiguë, et se mit à les gratter avec soin, ces choses. Il les effaça tout à fait, lentement, regardant de ses yeux vides la place où tout à l'heure elles étaient gravées ; et du bout de l'os qui avait été son index, il écrivit en lettres lumineuses comme ces lignes qu'on trace aux murs avec le bout d'une allumette :
"Ici repose Jacques Olivant, décédé à l'âge de cinquante et un ans. Il hâta par ses duretés la mort de son père dont il désirait hériter, il tortura sa femme, tourmenta ses enfants, trompa ses voisins, vola quand il le put et mourut en misérable."
Quand il eut achevé d'écrire, le mort immobile contempla son œuvre. Et je m'aperçus, en me retournant, que toutes les tombes étaient ouvertes, que tous les cadavres en étaient sortis, que tous avaient effacé les mensonges inscrits par les parents sur la pierre funéraire, pour y rétablir la vérité. »
Quelle est la nature de cet extrait de La Morte de Maupassant ?
Cet extrait de La Morte de Maupassant est un récit fantastique car il s'appuie sur la réalité (un décès, le lieu est celui d'un cimetière, le moment est la nuit) mais il s'en éloigne par des phénomènes étranges et surnaturels : les défunts sortent de leur tombe et corrigent l'inscription de leur pierre tombale.
Quels sont les deux procédés qui traduisent l'errance physique et mentale du narrateur dans les deux premiers paragraphes ?
Dans les deux premiers paragraphes, l'errance physique et mentale du narrateur est mise en évidence par l'utilisation des phrases interrogatives et exclamatives ainsi que par la répétition (« j'entendais », « prêt à »). Les phrases interrogatives et exclamatives, respectivement identifiables notamment par le point d'interrogation, l'inversion sujet-verbe ainsi que par le point d'exclamation, indiquent l'affolement ressenti par le narrateur, sa peur, les questions qu'il se pose car il ne sait pas quoi penser, il ne sait s'il doit avancer, bouger.
Selon quel procédé le champ lexical de la peur évolue-t-il dans cette phrase : « J'étais paralysé par la terreur, j'étais ivre d'épouvante, prêt à hurler, prêt à mourir. » ?
Dans cette phrase, « J'étais paralysé par la terreur, j'étais ivre d'épouvante, prêt à hurler, prêt à mourir. », le champ lexical de la peur évolue selon le procédé de la gradation. Le lecteur remarque une évolution, une amplification dans la peur ressentie : elle passe de « terreur » à « épouvante ». De la même manière, les symptômes et réactions physiques deviennent de plus en plus intenses puisque le narrateur passe de « paralysé » à « ivre », de la vie avec la possibilité de « hurler » à la mort avec « mourir ». La peur est une des caractéristiques du genre fantastique. Le lieu (le cimetière) et le moment de l'action (la nuit) favorisent également l'installation de la peur.
Comment peut-on décrire les deux inscriptions funèbres ? (lignes 14 à 16 et lignes 24 à 27)
Les deux inscriptions funèbres sont totalement opposées : la première fait l'éloge du défunt, Jacques Olivant, en ne soulignant que ses qualités (« aimait les siens », « honnête et bon ») alors que la seconde fait le blâme du même défunt en ne dénonçant que ses défauts (« ses duretés », « tortura sa femme », « tourmenta ses enfants », « trompa ses voisins », « vola »). Toute sa vie, Jacques Olivant ne fut qu'une mauvaise personne et il souhaite effacer les inscriptions mensongères pour rétablir la vérité sur lui-même.
Quel est le degré de certitude exprimé dans le texte ?
Dans le texte, le narrateur est complètement incertain. Cela se traduit par les nombreuses questions qu'il se pose (« Quoi ? ») et par « confus », « semble », etc.
À quel champ lexical les mots « confus », « affolée » et « paralysé » appartiennent-ils ?
Il s'agit du champ lexical de la panique. Il permet de traduire les émotions du narrateur face aux événements extraordinaires dont il est témoin.
Quelle est la valeur de l'imparfait de l'indicatif des verbes « J'entendais », « je regardais », « j'étais assis » ?
La valeur de l'imparfait de l'indicatif est celle de la description dans un récit : le lecteur sait ce qu'entend, voit, fait le narrateur.
Quelle est la valeur du passé simple de l'indicatif en gras dans l'extrait suivant : « Puis il ramassa une pierre dans le chemin, une petite pierre aiguë, et se mit à les gratter avec soin, ces choses. » ?
La valeur du passé simple de l'indicatif est celle de l'action successive : Jacques Olivant fait ces deux actions, celle de ramasser et celle de se mettre à gratter, l'une après l'autre. Leur succession est aussi marquée par des connecteurs logiques qui indiquent leur ordre, d'abord « Puis », ensuite « et ».