Identifie le raisonnement utilisé dans chacun des extraits proposés.
La grâce de la nouveauté est à l'amour ce que la fleur est sur les fruits ; elle y donne un lustre qui s'efface aisément, et qui ne revient jamais.
François de La Rochefoucauld, Maximes, 1664
La Rochefoucauld utilise un raisonnement par analogie, en établissant un rapprochement entre la nouveauté de l'amour et la fleur des arbres fruitiers.
Quand le roi Pyrrhus passa en Italie, après qu'il eut reconnu l'ordonnance de l'armée que les Romains lui envoyaient au-devant : « Je ne sais, dit-il, quels barbares sont ceux-ci (car les Grecs appelaient ainsi toutes les nations étrangères), mais la disposition de cette armée que je vois, n'est aucunement barbare. » Autant en dirent les Grecs de celle que Flaminius fit passer en leur pays et Philippe, voyant d'un tertre l'ordre et distribution du camp romain en son royaume, sous Publius Sulpicius Galba. Voilà comment il se faut garder de s'attarder aux opinions vulgaires, et les faut juger par la voix de la raison, non par la voix commune.
Michel de Montaigne, Essais, I, 31, « Des cannibales », 1595
Montaigne développe un raisonnement inductif, car il part du cas concret de Pyrrhus et en dégage une loi générale formulée à la fin.
Mais supposons, pour un moment, que les passions fassent plus de malheureux que d'heureux, je dis qu'elles seraient encore à désirer ; parce que c'est la condition sans laquelle on ne peut avoir de grands plaisirs ; or, ce n'est la peine de vivre que pour avoir des sentiments et des sensations agréables, et plus les sentiments agréables sont vifs, plus on est heureux. Il est donc à désirer d'être susceptible de passions.
Émilie du Châtelet, Discours sur le bonheur, 1779
Madame du Châtelet emploie un raisonnement concessif, car elle admet dans un premier temps que les passions puissent faire souffrir (« supposons que… ») pour ensuite montrer que, même s'il en est ainsi, elles sont tout de même désirables car elles sont aussi sources de plaisir.
C'est un dénommé Joussouf Chéribi qui est supposé écrire cette loi anti-lecture.
Il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser1 ladite infernale invention de l'imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées :
1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l'ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés.
2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d'Occident, il ne s'en trouve quelques-uns sur l'agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu'à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d'âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine.
3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d'histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l'imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l'équité et l'amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place.
4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d'éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance.
Voltaire, De l'horrible danger de la lecture, 1765
1 Anathématiser : jeter l'interdit.
Voltaire utilise un raisonnement par l'absurde, car il fait semblant d'adopter et de défendre la thèse de ceux qui interdisent ou censurent les livres, pour montrer que leur argumentation est incohérente et absurde. Le raisonnement par l'absurde est au service ici de l'ironie.