Hernani comme incarnation d'un projet esthétique Question sur 12 points type bac

L'écriture théâtrale d'Hernani incarne un projet esthétique nouveau en rupture avec les règles classiques dans le but de créer une nouvelle forme littéraire. Dans cette perspective, Victor Hugo s'approprie la règle des trois unités : il utilise des lieux variés et se permet des ellipses temporelles pour faire évoluer ses personnages autour de plusieurs actions et retournements de situation. Ces changements impliquent une adaptation de la part du spectateur, qui est mené à réfléchir aux choix esthétiques de l'auteur, en rupture avec ses prédécesseurs. Toute transgression de règle implique une décision de l'auteur et donc un choix accompli et réfléchi.

Les règles de bienséance et de vraisemblance sont elles aussi remises en question : les choix de la chambre à coucher dans l'acte I ou des caveaux dans l'acte IV vont à l'encontre de ces règles. Le spectateur se rend alors compte que les règles mêmes les plus classiques peuvent être transgressées, ouvrant la voie à tout un champ de possibilités.

Ainsi, lorsqu'il s'attend à assister à une comédie avec le comique de situation dès l'acte I scène 1, le spectateur est étonné de retrouver des caractéristiques de la tragédie avec la présence de personnages nobles comme le roi Don Carlos, une fin tragique et des tirades lyriques. Au-delà d'une transgression des règles du théâtre classique, le drame romantique renouvelle les codes des genres comique et tragique. Il mêle les deux, créant une tension dramatique forte à travers laquelle les personnages évoluent, soumis à leurs propres choix, parfois inattendus.

Hernani ne peut donc pas être considéré seulement comme un projet d'écriture. Il n'y a pas d'écriture sans lecteur. En renouvelant l'écriture théâtrale, Victor Hugo renouvelle les attentes du spectateur et donne naissance à un nouveau public. Lorsque la tragédie s'adresse à un public lettré issu de la noblesse et que la comédie lui préfère un public plus populaire, le drame fait le choix de s'adresser à tous. Il brise les frontières des genres, pour interpeler l'homme dans toute son humanité. Les topoï évoqués concernent à la fois des sentiments universels comme l'amour et le sens de l'honneur que des thèmes propres au XIXe siècle comme l'ambition politique ou l'histoire. Le spectateur est alors confronté à l'ambivalence des personnages complexes et profonds capables de transmettre les idées de leur auteur.

Le public doit donc réinventer ses attentes puisqu'il n'a plus de repères, plus d'acquis antérieurs et ne reconnaît plus la forme, le genre et les thématiques du passé. En effet, "l'horizon d'attente" défini par Jauss en 1978 est le "système de références objectivement formulable qui, pour chaque œuvre au moment de l'histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs principaux : l'expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique d'œuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l'opposition entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne". Ainsi appliqué au public de 1830, cet horizon d'attente est complètement remis en question : le spectateur n'a plus les connaissances et l'expérience préalables à la réception de l'œuvre. Il doit donc apprendre à réagir et à se construire différemment.

Voilà pourquoi le public romantique est à l'image de ce qu'il défend : libre, sans codes vestimentaires, sans tenue correcte ni bienséance. Le public romantique ressemble aux personnages sur scène : libres de leurs choix et de leurs sentiments.

Le romantisme dépasse donc les frontières d'un genre littéraire. Ce mouvement touche l'art en général et son public. D'abord modèle d'écriture, il réinvente les codes traditionnels mélangeant les genres et les registres, renouvelant la règle des trois unités et réinventant la langue à la fois poétique et prosaïque autour d'un alexandrin brisé. Par le biais d'un contraste entre l'ombre et la lumière, le romantisme confronte les contradictions du monde : beauté et laideur, sublime et grotesque, courage et couardise, honneur et mépris. Le projet esthétique défendu par Victor Hugo est donc un projet qui réinvente la langue et le genre théâtral.

Mais cette nouvelle esthétique dépasse la langue pour s'ouvrir au public et à la politique du monde qui l'entoure. Ainsi elle place ses histoires dans des contextes historiques précis, l'Espagne féodale du XVIe siècle pour Hernani, jouant sur la "couleur locale" espagnole, à même de faire voyager le lecteur dans un souci de vraisemblance et d'authenticité. Le romantisme dépasse donc même le genre théâtral, on le retrouve dans le roman, la peinture ou la musique avec ce même projet de donner vie à des personnages miroirs des hommes.

Le drame romantique qu'est Hernani est donc "la première pièce d'un édifice" qui s'apprête à donner le jour à un projet esthétique de grande envergure, touchant tour à tour l'art, la politique et le peuple. Ainsi, l'enjeu pour Victor Hugo est peut-être davantage de faire naître l'implication du public dans la réception et la création d'une œuvre afin de conférer à la littérature une dimension plus politique, historique et engagée pour agir sur le monde.