On considère le texte suivant :
Émile Zola, Germinal, chapitre 1 (incipit)
1885
« Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.
L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D'abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.
Un chemin creux s'enfonçait. Tout disparut. L'homme avait à droite une palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée ; tandis qu'un talus d'herbe s'élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d'une vision de village aux toitures basses et uniformes.
Il fit environ deux cents pas. Brusquement, à un coude du chemin, les feux reparurent près de lui, sans qu'il comprît davantage comment ils brûlaient si haut dans le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses. Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait de l'arrêter. C'était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d'où se dressait la silhouette d'une cheminée d'usine ; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques ; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d'un échappement de vapeur, qu'on ne voyait point. »
Que peut-on dire de la situation d'énonciation dans cet extrait ?
L'énoncé est coupé de la situation d'énonciation. Plusieurs indices l'indiquent. Il n'y a pas de présence de pronoms personnels de la 1re ou de la 2e personne. C'est la 3e personne qui est employée. On ne peut donc identifier ni l'énonciateur ni le destinataire. De plus, les indicateurs de lieu « Dans la plaine », « Monstou » et de temps « vers deux heures » ne font pas référence au lieu et au moment de l'énonciation. Enfin, les temps employés sont le passé simple et l'imparfait.
Quel est le type de narrateur dans cet extrait ?
On appelle « narrateur » la « voix » qui prend en charge le récit. Dans cet extrait, le récit est fait à la 3e personne. Le narrateur ne se manifeste pas directement et n'est pas un personnage de l'histoire. C'est donc un narrateur extérieur au récit.
Dans l'extrait suivant, quelle est la focalisation utilisée ?
« Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. […] L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. »
Le récit débute avec un point de vue omniscient (focalisation zéro). Le narrateur omniscient sait tout sur tout. Même s'il ne donne pas le nom de l'homme qui marche, le narrateur sait d'où il vient (« Marchiennes »), où il va (« Montsou ») et quand il est parti (« vers deux heures »). Il connaît également la distance qui sépare les deux villes (« dix kilomètres »). La focalisation zéro est importante dans un incipit d'un roman car elle permet de donner des indications essentielles au lecteur : le cadre spatio-temporel, des informations sur le personnage et sur l'intrigue.
Dans l'extrait suivant, quelle est la focalisation utilisée ?
« Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D'abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains. »
Le narrateur connaît les pensées du personnage. Il peut « lire » dans sa tête. C'est donc un point de vue interne (focalisation interne). Le point de vue interne permet au lecteur de connaître les pensées (« Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour »), les sentiments (« il hésita, pris de crainte ») et l'état d'esprit du personnage (« il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains. »). Dans cet extrait, le lecteur peut supposer qu'il s'agit du personnage principal. En effet, on suit son cheminement depuis les premières lignes du roman et on connaît sa pensée, ce qui laisse penser que c'est un personnage important.
Dans l'extrait suivant, quelles sont les focalisations utilisées ?
« L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup »
Il est courant qu'un récit mêle étroitement les trois points de vue du narrateur. « L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures » relève du point de vue omniscient, « Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. » relève du point de vue externe et « Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup » relève du point de vue interne. L'alternance des points de vue s'explique par le fait qu'ils ont des fonctions différentes. Le narrateur emploiera celui de son choix selon l'effet qu'il cherche à produire ou les informations qu'il souhaite donner.