On donne le texte suivant extrait de L'Émile ou De l'éducation de Jean-Jacques Rousseau :
De toutes les occupations qui peuvent fournir la subsistance à l'homme, celle qui le rapproche le plus de l'état de nature est le travail des mains : de toutes les conditions, la plus indépendante de la fortune et des hommes est celle de l'artisan. L'artisan ne dépend que de son travail ; il est libre, aussi libre que le laboureur est esclave ; car celui-ci tient à son champ, dont la récolte est à la discrétion d'autrui. L'ennemi, le prince, un voisin puissant, un procès, lui peut enlever ce champ ; par ce champ on peut le vexer en mille manières ; mais partout où l'on veut vexer l'artisan, son bagage est bientôt fait ; il emporte ses bras et s'en va. Toutefois, l'agriculture est le premier métier de l'homme : c'est le plus honnête, le plus utile, et par conséquent le plus noble qu'il puisse exercer. Je ne dis pas à Émile : Apprends l'agriculture ; il la sait. Tous les travaux rustiques lui sont familiers ; c'est par eux qu'il a commencé, c'est à eux qu'il revient sans cesse. Je lui dis donc : Cultive l'héritage de tes pères. Mais si tu perds cet héritage, ou si tu n'en as point, que faire ? Apprends un métier.
Un métier à mon fils ! mon fils artisan ! Monsieur, y pensez-vous ? J'y pense mieux que vous, madame, qui voulez le réduire à ne pouvoir jamais être qu'un lord, un marquis, un prince, et peut-être un jour moins que rien : moi, je lui veux donner un rang qu'il ne puisse perdre, un rang qui l'honore dans tous les temps ; je veux l'élever à l'état d'homme ; et, quoi que vous en puissiez dire, il aura moins d'égaux à ce titre qu'à tous ceux qu'il tiendra de vous.
La lettre tue, et l'esprit vivifie. Il s'agit moins d'apprendre un métier pour savoir un métier, que pour vaincre les préjugés qui le méprisent. Vous ne serez jamais réduit à travailler pour vivre. Eh ! tant pis, tant pis pour vous ! Mais n'importe ; ne travaillez point par nécessité, travaillez par gloire. Abaissez-vous à l'état d'artisan, pour être au-dessus du vôtre. Pour vous soumettre la fortune et les choses, commencez par vous en rendre indépendant. Pour régner par l'opinion, commencez par régner sur elle.
Souvenez-vous que ce n'est point un talent que je vous demande : c'est un métier, un vrai métier, un art purement mécanique, où les mains travaillent plus que la tête, et qui ne mène point à la fortune, mais avec lequel on peut s'en passer.
Quelle est la thèse défendue dans le texte ?
- Le texte défend la thèse selon laquelle le travail des mains rapprochent de l'état de nature.
- Il met en avant les avantages du métier d'artisan et en fait l'éloge.
- Il défend la nécessité morale et les avantages à apprendre un métier pour tous les individus.
- Selon l'auteur, le travail des mains émancipe l'Homme de sa dépendance aux choses matérielles.
Le texte défend la thèse de la nécessité du travail des mains et de la supériorité morale de l'artisan.
Quels sont les types d'arguments dans ce texte ?
- L'auteur a recours à une argumentation déductive : il annonce sa thèse en préambule et la développe en l'illustrant tout au long du texte.
- Il utilise ensuite un argument d'analogie en comparant d'un côté la dépendance du laboureur (à son champ et aux autres qui le convoitent) et de l'autre la liberté de l'artisan qui ne dépend que de sa propre compétence.
- Il a ensuite recours à un argument par l'exemple en mettant en avant le cas d'Émile et sa connaissance de l'agriculture. C'est l'occasion pour lui d'en montrer les avantages et les inconvénients.
- Il met ensuite en place une réfutation : en faisant entendre la voix d'une personne qui ne serait pas d'accord avec lui, il la décrédibilise pour mieux affirmer son point de vue.
- Il passe ensuite à une généralisation : l'éloge du métier d'artisan lui permet de faire une critique du matérialisme.
Au travers d'un raisonnement déductif, l'auteur utilise des arguments par analogie, par l'exemple et par la généralisation, pour faire l'éloge du métier d'artisan.
Définir les locuteurs.
- Le locuteur principal du texte est l'auteur lui-même qui fait entendre sa voix et assume sa prise de position à travers le pronom de la première personne du singulier "je".
- Il s'adresse à plusieurs interlocuteurs : Émile tout d'abord à qui il prodigue ses conseils. Puis dans un second temps, une mère qui se scandalise à l'idée de faire apprendre un métier à son fils. Enfin, il s'adresse au lecteur lui-même et de manière directe à travers le pronom de la deuxième personne du pluriel "vous" : il lui adresse de nombreuses injonctions à l'impératif telles que "ne travaillez point par nécessité, travaillez par gloire". Il essaye de l'inciter à apprendre un métier.
- L'autre voix du texte est donc celle de la femme qui dit : "Un métier à mon fils ! mon fils artisan ! Monsieur, y pensez-vous ?". On sait qu'il s'agit d'une femme car Rousseau lui dit "Madame". Elle fait entendre sa voix dans le pronom possessif "mon" et dans les modalités exclamatives et interrogatives qui traduisent sa réaction scandalisée. Elle est la représentante des parents réticents que Rousseau tente de convaincre.
C'est Rousseau qui s'exprime en son nom propre dans ce texte. Il fait également entendre la voix d'une mère qui s'oppose à sa thèse. Il s'adresse à Émile, aux parents réticents mais aussi au lecteur lui-même qu'il invite à apprendre le métier d'artisan.
Quel est le rôle du dialogue dans ce texte ?
- Les paroles adressées par le locuteur à Émile rendent le texte plus vivant. Elles donnent une dimension didactique au propos et illustrent la thèse défendue.
- Le dialogue fictif entre la mère de famille et Rousseau au second paragraphe permet à l'auteur de faire entendre la voix de ses opposants pour mieux la réfuter. Il tente de la décrédibiliser en insistant sur l'énervement de la femme, sa réaction scandalisée traduite par les modalités exclamatives : cette mère n'a pas d'arguments contrairement à Rousseau dont la réponse est calme et bien argumentée. Il se montre plus préoccupé que la femme par l'avenir de son fils.
- Enfin, il s'adresse directement au lecteur dans un dialogue ouvert avec lui où il se montre passionné, ce que traduisent les exclamations persuasives. Il s'y exprime par injonctions répétées afin de mettre le lecteur dans une posture d'élève. Cette adresse à un lecteur, probablement noble car Rousseau écrit : "Vous ne serez jamais réduit à travailler pour vivre", lui permet d'élargir son propos en montrant la nécessité proprement morale d'apprendre un métier.
Le dialogue permet à Rousseau de rendre son texte plus vivant, de faire entendre la voix de ses opposants pour mieux la réfuter et de cibler directement son lecteur pour mieux le persuader.