Polynésie, 2016, voie S
La Chine et le monde depuis 1949
Quand la République populaire de Chine est-elle proclamée ?
Quel dirigeant succède à Mao Zedong à la tête de la RPC ?
Lequel de ces plans aurait pu convenir au sujet "La Chine et le monde depuis 1949" ?
Quel est le nom de la politique de collectivisation forcée menée par Mao entre 1958 et 1961 ?
Que signifie le sigle ZES ?
Quel est le premier président américain à se rendre officiellement en Chine ?
En 1973, de retour d'un voyage en Chine effectué deux ans plus tôt, l'écrivain et parlementaire français Alain Peyrefitte écrit un ouvrage à succès dont le titre à lui seul sonne comme une prophétie : Quand la Chine s'éveillera… le monde tremblera. Il y décrit les potentialités de "l'empire du Milieu", devenu communiste en 1949 à l'issue d'une violente guerre civile qui a opposé le Parti communiste chinois (PCC) de Mao Zedong au KMT nationaliste (Kuomindang) de Tchang Kaï-chek.
La proclamation de la République communiste de Chine (RPC) en octobre 1949 est censée ouvrir la voie à l'émancipation et au développement économique grâce à l'instauration d'un régime communiste inspiré du "grand frère" soviétique. Le monde va devoir compter avec la Chine après un siècle d'effacement inauguré dans les années 1840 avec les humiliants traités inégaux consécutifs aux défaites dans les guerres de l'opium. C'est cependant en rompant avec les principes de l'économie communiste que la Chine a réussi, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, à s'imposer comme une puissance majeure, quoiqu'encore inachevée à certains égards.
Il s'agit ici de s'interroger sur la place que la Chine communiste a occupé sur l'échiquier mondial depuis la proclamation de la République populaire en 1949 et d'envisager l'évolution de sa relation au monde. Pour ce faire, nous considérerons l'émergence de la puissance chinoise sous les auspices communistes avant de nous intéresser à la rupture des années 1980 et au "réveil" d'une Chine qui s'affirme de plus en plus comme une puissance économique et politique capable de peser sur les équilibres mondiaux.
Mao et la construction de la puissance chinoise
La Chine de Mao : fille aînée de l'URSS de Staline ?
Proclamée le 1er octobre 1949, la République populaire de Chine de Mao a conscience de son retard en termes de développement économique et de l'incapacité dans laquelle elle se trouve d'être considérée comme une puissance pleine et entière, d'autant que la guerre froide, débutée en 1947, tend à segmenter le monde en deux blocs distincts et antagonistes. Mao Zedong, le fondateur du PCC (Parti communiste chinois) et l'homme fort du nouveau régime, entend obtenir le soutien du grand frère soviétique dans les plus brefs délais. Il obtient ainsi la reconnaissance du régime par Staline dès le lendemain de la proclamation de la République et se rend à Moscou en décembre 1949 afin de négocier, avec son ministre des Affaires étrangères Zhou Enlai, un traité d'alliance et d'amitié avec Staline qui est signé en février 1950. Ce traité prévoit une assistance technique et militaire, jugée indispensable à la Chine. Après un siècle d'ouverture - contrainte - sur l'Occident, la Chine semble donc délaisser le grand large et se retourner vers l'intérieur du continent.
L'intégration de la Chine populaire dans le giron soviétique se concrétise rapidement par l'envoi d'ingénieurs et de conseillers qui doivent permettre au pays de se lancer dans une entreprise de modernisation à marche forcée. Sur le modèle soviétique, l'accent est donc mis sur l'industrie lourde qui fait l'objet d'investissements importants ; les terres agricoles sont collectivisées, l'économie est planifiée de manière autoritaire et centralisée ; un culte de la personnalité est par ailleurs progressivement mis en place.
Cette alliance sino-soviétique se concrétise aussi d'un point de vue politique et militaire. La Chine entend en effet jouer à plein la carte de l'internationale communiste et s'imposer dans le même temps comme une puissance régionale. Ainsi, elle soutient le Viêt Minh d'Hô Chi Minh lors de la guerre d'Indochine (1946 - 1954) et s'engage dans la guerre de Corée dès 1950. Le régime chinois n'hésite pas en effet à envoyer des "volontaires" en nombre important pour soutenir les Nord-Coréens qui, avec la bénédiction de Moscou - et son aide logistique - ont décidé d'unifier la péninsule à leur profit. Or l'intervention occidentale ne permet pas au régime communiste de Corée du Nord de s'imposer et le traité de Panmunjeom de 1953 fait revenir la situation à ce qu'elle était avant le début de la guerre. 1953, c'est aussi l'année de la mort du "petit père des peuples" (Staline) et le début des tensions entre l'URSS et la Chine.
Vers la rupture sino-soviétique
Il ne faut pas très longtemps à Staline pour comprendre que son protégé chinois a quelque ambition régionale et qu'il entend s'imposer comme une puissance. L'intervention chinoise en Indochine ou en Corée, mais également la conquête du Tibet en 1950 et les revendications territoriales chinoises en Asie centrale n'augurent rien de bon. La mort de Staline, en mars 1953, révèle au grand jour la détérioration des relations sino-soviétiques.
La déstalinisation engagée par Nikita Khrouchtchev à partir du XXe Congrès du PCUS (Parti communiste de l'Union soviétique) de 1956 et l'entrée dans la "coexistence pacifique" sont vivement dénoncées par Mao qui considère dorénavant l'URSS comme une puissance déviante qui a vendu son âme aux impérialistes. Il entend dès lors reprendre le flambeau et assumer le leadership sur le monde communiste. Cette autonomisation se concrétise dès 1955 lors de la conférence de Bandung à laquelle la Chine participe activement. Zhou Enlai, son ministre des Affaires étrangères, s'impose comme l'un des principaux ténors de cette initiative ; il veut fédérer les pays nouvellement indépendants et montrer aux pays du Sud que la Chine est en mesure de porter haut leurs couleurs. La Chine, aidée de l'Inde et de l'Égypte notamment, veut imposer un tiers-monde qui ne s'aligne ni sur les impérialistes occidentaux ni sur les Soviétiques pervertis et corrompus.
La rupture avec l'URSS est consommée au début des années 1960 lorsque Moscou rappelle ses conseillers présents en Chine. Cette dernière ne tarde pas par ailleurs à entrer en guerre contre l'Inde dont le régime est alors pro-soviétique. Ces tensions témoignent de la défiance que Mao nourrit à l'égard de l'URSS et de sa volonté d'affirmation régionale qui se traduit en outre par l'acquisition de la bombe nucléaire en 1964. Surtout, la Chine engage une série d'affrontements contre l'URSS elle-même en 1969 en raison d'un contentieux territorial non réglé ; la gravité de ce contentieux est telle que l'on envisage un temps l'éventualité d'une guerre nucléaire entre les deux puissances communistes. Enfin, on peut rappeler que la Chine et l'URSS s'opposent par alliés interposés, notamment au Cambodge : alors que la Chine soutient les Khmers rouges de Pol Pot, l'URSS aide le Vietnam à les renverser en 1978, ce qui n'est pas sans susciter de nouvelles tensions entre les deux frères devenus ennemis.
"Compter sur ses propres forces" ou l'affirmation d'une nouvelle place internationale
Afin de consolider sa place sur l'échiquier mondial et de s'imposer comme une puissance qui compte, Mao engage au cours des années 1950 une série de réformes qui doivent conduire la Chine à se développer en suivant une "voie chinoise" vers le communisme. Le Grand Bond en avant est ainsi lancé en 1958 afin d'augmenter la production chinoise en mobilisant les masses ; les campagnes font les frais de cette politique d'industrialisation forcée ; la collectivisation à outrance et les ponctions de main-d'œuvre provoquent une réduction considérable de la production agricole et une famine sans précédent qui cause près d'une trentaine de millions de morts.
Enfin, entre 1966 et 1969, la Chine vit à l'heure de la Révolution culturelle qui doit permettre de purger le pays et le parti des éléments hostiles à Mao ; la terreur règne en Chine, provoquant des centaines de milliers de morts. Isolée et affaiblie, la Chine décide d'emprunter la voie du réalisme politique incarnée par Zhou Enlai, le ministre des Affaires étrangères, qui négocie en sous-main avec les pays occidentaux et notamment les États-Unis. Si la France a reconnu la Chine populaire assez précocement, il faut attendre 1971 pour que le président Nixon se décide à le faire, conférant à la Chine une place de choix dans l'échiquier politique régional et mondial puisque Pékin prend alors le siège de Taipei à l'ONU. Nixon fait même le déplacement en février 1972, actant ainsi l'accès de la Chine à la table des puissances qui comptent. Par ailleurs, l'influence chinoise se manifeste en Occident par le poids croissant de ceux que l'on appelle les "Mao" et qui voient en la Chine un modèle à suivre. Ils se manifestent bruyamment en mai 1968 alors même que la Chine vit l'effroi de la Révolution culturelle. Si la Chine a tenté - une assez bonne réussite - de s'imposer comme une puissance politique influente, elle a en revanche échoué à sortir du sous-développement par la "voie chinoise" vers le communisme, ce qui n'est pas sans nuire à sa capacité d'influence.
Il faudra attendre la mort de Mao et l'arrivée aux commandes d'une nouvelle génération d'hommes politiques pour que la Chine commence à réellement "s'éveiller", pour reprendre le terme de Peyrefitte.
L'affirmation de la puissance chinoise depuis les années 1980
Deng Xiaoping et le "socialisme aux couleurs de la Chine"
La mort du Grand Timonier en 1976 laisse la Chine orpheline mais ouvre la voie à un modèle de développement et d'affirmation alternatif incarné par Deng Xiaoping qui finit par s'imposer à la tête du régime chinois en 1978. Les réformes qu'il initie conduisent progressivement la Chine à sortir de l'ornière économique dans laquelle Mao l'avait fait tomber et à s'affirmer comme l'une des premières puissances économiques au monde. Xi Jinping entend aujourd'hui transformer en puissance politique et militaire afin de faire de la Chine une puissance complète.
En 1978, Deng Xiaoping lance la politique des Quatre Modernisations qui embrasse des domaines aussi stratégiques que l'agriculture, l'industrie, la science et la technologie et la défense nationale. Le régime semble alors tourner le dos à la voie maoïste : les terres sont en partie décollectivisées, la planification est assouplie, les entreprises individuelles ne sont plus interdites. Surtout, le régime crée des Zones économiques spéciales (ZES) sur les côtes afin d'attirer les investissements étrangers et de doper la croissance économique. La Chine devient progressivement l'atelier du monde en jouant sur ses atouts, notamment le nombre et la faiblesse du coût de sa main-d'œuvre. La Chine communiste intègre donc les logiques de l'économie de marché mondialisée. L'aggiornamento est réalisé officiellement en 1992, lors d'un congrès du PCC qui adopte le concept paradoxal de "socialisme de marché" : l'économie est libéralisée mais les structures du pouvoir restent communistes et autoritaires ; le PCC conserve ainsi le monopole du pouvoir politique (le pluralisme politique n'est pas de mise), traque les opposants et bafoue les droits humains. Le pacte qui est passé avec la société chinoise peut se résumer ainsi : le développement économique contre le pouvoir.
Quoi qu'il en soit, le modèle économique chinois tel qu'il se met en place dans les années 1980 est un succès : les taux de croissance du PIB s'envolent et dépassent souvent les 10 % ; l'industrialisation s'accélère sur les zones côtières, suscitant des mouvements migratoires importants et l'émergence progressive d'une classe moyenne. Les villes comme Shanghai retrouvent de leur lustre d'antan et comptent sur la scène financière et économique mondiale. La Chine s'affirme donc comme une puissance économique émergente dynamique face à ses concurrents, qu'ils soient occidentaux ou asiatiques (par exemple, le Japon). Elle participe à la création du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). En 2014, la Chine monte - brièvement - sur la première marche du podium économique mondial en détrônant les États-Unis ; la Chine a donc en partie réussi son pari même si cette puissance économique est inégalitaire et n'est pas sans susciter des interrogations sur la suite. Ainsi, on peut se demander si la Chine sera capable de transformer son modèle de développement à l'heure où sa compétitivité décline, notamment en raison du vieillissement accéléré de sa population.
La puissance chinoise en question
Après avoir œuvré pour sortir du sous-développement, la Chine tend aujourd'hui à s'affirmer comme une puissance qui compte sur la scène géopolitique mondiale même si, longtemps, elle a affirmé vouloir être une puissance pacifique et ne pas chercher l'hégémonie. Jusqu'à l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013, la Chine s'était peu manifestée sur la scène diplomatique mondiale ; son activité à l'ONU était discrète et ses interventions peu nombreuses et spectaculaires comparées aux États-Unis qui restaient la puissance dominante de l'après-guerre froide. Pour autant, la Chine n'en construisait pas moins un outil militaire proportionné à ses ambitions, s'appuyant par ailleurs sur la bombe atomique détenue depuis 1964. Pékin a ainsi profité de sa croissance économique pour moderniser son armée - la plus grande au monde - afin de faire comprendre à ses voisins et au reste du monde qu'elle ne craint personne. Les États-Unis, très présents dans le Pacifique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, n'ont pas tardé à parler de "menace chinoise" et à ressouder leurs alliances régionales devant les appétits chinois. Le Japon, quant à lui, s'interroge sur la pérennité de sa constitution pacifique et anti-militariste à l'heure où le voisin chinois se réveille bruyamment. Les Philippines ont acté le basculement géopolitique de la région et ont rallié la Chine après plus d'un demi-siècle d'alliance américaine.
La Chine a dans le même temps manifesté son appétit territorial en revendiquant des territoires situés en mer de Chine, notamment après avoir réglé les litiges avec la Russie ou l'Inde. Elle a, ces dernières années, poussé sa marine à se montrer plus agressive et a créé des îles artificielles afin de construire des bases militaires, autant d'éléments qui laissent à penser que la Chine entend s'imposer comme le maître de la région aux dépens des autres puissances régionales et des États-Unis. Enfin, elle continue à revendiquer Taïwan et le contrôle du détroit de Formose.
La puissance chinoise passe aussi par sa participation active aux organisations régionales, qu'il s'agisse de l'ASEAN (Association des nations de l'Asie du Sud-Est), aux discussions de laquelle elle est associée ou, surtout, de l'Organisation de coopération de Shanghai ; depuis quelques années, Xi Jinping développe la "route de la soie" qui vise à organiser et contrôler le commerce de la région. Enfin, la stratégie du "collier de perles" démontre que la Chine entend maîtriser ses approvisionnements afin d'assurer son indépendance énergétique et économique. L'influence chinoise passe aussi par les achats de terres et les investissements directs à l'étranger, notamment en Afrique, au point que certains parlent de "Chinafrique". La puissance chinoise continue à développer son influence de manière plus feutrée, son Soft power qui passe par le financement de festivals de cinéma dédiés au septième art chinois ou par le développement du réseau d'instituts Confucius : il s'agit de promouvoir l'enseignement du chinois et de vulgariser la culture chinoise.
La seconde moitié du XXe siècle aura donc vu l'émergence puis l'affirmation de la puissance chinoise. Si Mao a tenté d'imposer la Chine comme le chef de file du tiers-monde anti-impérialiste et de s'émanciper de la tutelle soviétique, il a fallu attendre les années 1980 pour que l'empire du Milieu commence à sortir du sous-développement sous l'impulsion de son successeur, Deng Xiaoping. La croissance économique du tournant du XXIe siècle a offert à Pékin l'opportunité de s'affirmer progressivement comme une puissance qui compte et qui défie le leadership américain, au moins sur le plan régional. La Chine renoue donc progressivement avec la puissance qu'elle détenait avant le déclin de l'Empire des Qing aux XVIIIe et XIXe siècles et participe de la recomposition géopolitique du monde après la parenthèse de l'hyperpuissance américaine.
Pour autant, il semble peu probable que la puissance chinoise entende régenter le monde et s'affirmer comme son "gendarme". Le monde n'a peut-être pas besoin de "trembler" devant le réveil chinois mais simplement de compter avec les ambitions de Pékin et d'acter la multipolarisation.