L'actualisation du mythe Exercice fondamental

Dans son film, Pasolini ne s'éloigne pas simplement de la tragédie de Sophocle, il procède aussi à plusieurs modifications qui sont une véritable actualisation du mythe. Il transforme la scène du Sphinx, fait d'Œdipe un antihéros et insiste sur la relation charnelle entre Jocaste et son fils.

Pasolini procède à de nombreux changements dans la représentation du Sphinx. En effet, il apparaît traditionnellement sous la forme d'un lion ailé à tête et buste de femme. Dans le film, le Sphinx porte un masque africain et se tient en position accroupie. L'énigme du monstre est d'ailleurs supprimée. Le Sphinx demande à Œdipe : "Il y a une énigme dans ta vie. Quelle est-elle ?" Mais le jeune homme ne répond pas. Au contraire, avec une grande violence, il attaque le Sphinx en criant qu'il ne veut pas savoir. La scène de l'énigme est importante dans le mythe, elle permet de souligner l'intelligence d'Œdipe et légitime sa prise de pouvoir à Thèbes. En la supprimant, Pasolini change le mythe : Œdipe n'a plus aucune légitimité.

Pasolini fait aussi du personnage un antihéros. En effet, il est montré comme violent à plusieurs reprises dans le film : il se bat avec ses camarades, il veut frapper Tirésias, Créon et d'autres hommes, il crie. Dans la scène du meurtre de Laïos, il semble prendre du plaisir à assassiner un à un tous les soldats, et s'acharne sur le vieil homme. Dans le mythe, si Œdipe tue Laïos, c'est parce qu'il a été provoqué. Dans le film, le geste d'Œdipe est peu compréhensible. Il est animé par la haine. Pasolini appuie sur d'autres défauts, montrant Œdipe comme un tricheur, indécis et inquiet. Alors que dans le mythe, Œdipe est un homme qui cherche à contrôler sa destinée, celui de Pasolini laisse le hasard décider à sa place.

Enfin, Pasolini insiste sur la complicité charnelle de Jocaste et Œdipe. Dans le mythe, l'inceste n'est pas appuyé. Pasolini en fait le crime le plus important d'Œdipe. Il les filme s'échangeant des regards alanguis, s'enlaçant, s'embrassant. Avec pudeur, il filme également leurs ébats amoureux. En soulignant la sensualité du couple, Pasolini invite à réfléchir sur la relation ambiguë entre les personnages, ce que Sophocle ne faisait pas, et ce que le mythe n'appuie guère. Pasolini actualise donc le mythe d'Œdipe, dans le sens où il met en avant des aspects qui n'étaient qu'évoqués auparavant, et transforme des faits pour coller au portrait négatif d'un Œdipe animé par la passion et la colère.