La mise en scène du mythe d'Œdipe dans la pièce et dans le film Question sur 8 points type bac

Il n'est pas possible de représenter l'intégralité du mythe d'Œdipe dans une pièce de théâtre ou un film, car cela durerait bien trop longtemps. La contrainte temporelle oblige donc à une sélection des éléments du mythe à faire apparaître dans l'œuvre, et cela renvoie à la notion de parti pris. Sophocle et Pasolini, pour diverses raisons, proposent deux visions du mythe, deux mises en scène qui se rejoignent sur certains points tout en s'écartant sur d'autres.

En ce qui concerne les bornes de la représentation, Sophocle fait en sorte que la durée de la pièce corresponde à peu près à la durée de l'action que vivent les personnages. Ainsi, le temps est condensé, resserré autour de l'intrigue principale qui est l'enquête du roi. Pasolini, lui, fait remonter l'histoire d'Œdipe à ses origines. Son abandon, l'adoption, le départ d'Œdipe, le meurtre de Laïos ainsi que sa rencontre avec le sphinx sont montrés. C'est également le cas de sa rencontre et du mariage avec Jocaste, tout comme son exil, une fois la vérité révélée. Pasolini montre l'évolution d'Œdipe, il livre une trajectoire, alors que Sophocle se concentre sur l'aspect tragique de l'enquête et de la révélation.

Une des différences majeures repose donc sur le traitement qui est fait des événements qui ont conduit Œdipe à régner sur Thèbes aux côtés de sa mère devenue son épouse. Chez Sophocle, ces événements sont racontés soit par les personnages eux-mêmes, soit par des témoins. Par contre, Pasolini décide de les montrer, il n'y a pas d'intermédiaire, le spectateur est lui aussi un témoin de la tragédie à laquelle il assiste. Le spectateur a également l'impression de participer à l'action, car il en sait davantage que les personnages eux-mêmes grâce au procédé de l'ironie tragique. Mais Pasolini va plus loin que la simple représentation, il en modifie parfois le contenu. C'est le cas de la rencontre avec le sphinx qui est très différente de la rencontre de Sophocle. Au lieu de répondre intelligemment et calmement à l'énigme, Œdipe s'emporte, refusant de répondre au sphinx qu'il tue sauvagement. Cet accès de colère n'est pas le premier puisqu'il avait déjà sauvagement assassiné un vieillard et son convoi. À ce moment-là, la haine était perceptible dans son regard, ce qui fait de lui un personnage plutôt négatif.

Le personnage d'Œdipe n'est pas traité de la même façon dans les deux œuvres, ainsi le spectateur n'a pas du tout la même représentation de ce dernier selon les versions proposées. Chez Sophocle, il est un héros de tragédie. Il apparaît au sommet de sa gloire, aimé de son peuple, de sa femme, père de quatre enfants. C'est donc une image positive qui nous est donnée. Lorsque la peste se déclare, il prend son rôle de roi très à cœur et s'engage personnellement dans la recherche du coupable. Il souffre de voir son peuple décimé et il est même présenté par le prêtre, lors de la scène d'exposition, comme étant "le meilleur des humains". Cette position est particulière, privilégiée et étudiée afin que sa chute soit la plus vertigineuse possible.

Par contre, Pasolini donne à Œdipe une image très différente. Il n'est pas un héros positif mais plutôt un anti-héros. En effet, il erre sans but précis, refusant parfois de prendre des décisions et laissant le hasard choisir sa route pour lui. Il se cache les yeux à plusieurs reprises comme s'il ne voulait pas voir une vérité trop difficile à porter. Il triche lorsqu'il joue au disque, il est violent et emporté, pouvant même devenir sauvage. Ce n'est pas un conquérant qui assume ses actes, mais bien un anti-héros.

Enfin, alors que chez Sophocle, Œdipe cherche avant tout la vérité, il fuit celle-ci chez Pasolini. Dans la tragédie antique, l'enquête sur le meurtre de Laïos devient une quête existentielle pour Œdipe qui se demande qui il est vraiment : "De qui suis-je le fils ?". C'est cette obstination qui causera sa perte. Par contre, dans le film, il ne veut rien savoir concernant sa naissance, son passé ou tout ce qui pourrait le mettre en danger, c'est pourquoi il refuse de répondre au Sphinx qui lui pose une question intime : "Il y a une énigme dans ta vie. Quelle est-elle ?"

Dans le théâtre grec, les pièces étaient jouées en extérieur et le décor était inexistant. Toute cette pièce se tenait alors sur "le seuil du palais". Le spectateur, tout comme le lecteur, doit se projeter dans un décor imaginaire, il participe par l'esprit à la construction d'un univers. Par contre, dans le film, les images s'imposent au regard du spectateur. Ce qui impressionne le plus garde un rapport avec le soleil et sa lumière aveuglante qui est présente à de nombreuses reprises dans le film. Cette idée de lumière associée à la chaleur est également présente à travers les couleurs chaudes : le jaune, l'ocre ou le fauve. À noter que Pasolini fait voyager les spectateurs en proposant une transposition géographique : l'intrigue ne se déroule plus en Grèce, mais dans le Sud marocain.

Les costumes sont également différents, car dans l'Antiquité, aucune mention n'était faite sur ceux-ci. Tout comme les décors, ils étaient réduits à une simple évocation. Cependant, les comédiens apparaissaient drapés dans une toge blanche, tout metteur en scène peut choisir de faire apparaître ses comédiens dans des costumes plus modernes, car la liberté est totale. Pasolini, au contraire, joue avec la vraisemblance puisque ses personnages ne sont jamais costumés comme ils devraient l'être s'ils étaient grecs. Les coiffes, les tuniques, les structures renvoient à des civilisations qui ne sont ni grecques ni marocaines, comme si ces personnages incarnaient une universalité géographique et temporelle. Pasolini semble ici raconter l'histoire des hommes.

Enfin, les objets présents lors de la mise en scène sont peu nombreux, ce qui accentue encore leur importance. Parmi ceux-ci, de nombreux objets renvoient à la guerre et aux armes, mais ce sont surtout des objets symboliques qui reviennent à plusieurs reprises comme pour insister sur le rôle futur qu'ils vont jouer. C'est le cas de la broche de Jocaste avec laquelle Œdipe se crève les yeux. La poutre de la chambre est montrée à de nombreuses reprises jusqu'à ce que Jocaste s'y pende, et enfin, le lit conjugal dans lequel se noue l'inceste est au centre de nombreuses scènes. Chez Pasolini, les images prennent souvent le relais du langage, elles ne disent pas mais suggèrent, montrent les liens de cause à effet. C'est le cas des enchaînements brutaux entre les images concernant la relation incestueuse et celles montrant les ravages de la peste. Ainsi, dès le début de l'histoire, un lien se crée dans l'esprit du spectateur qui prend ainsi de l'avance sur les découvertes des personnages.