Dans le film Œdipe roi, face au Sphinx, Œdipe crie : "Je ne veux pas te voir !" En quoi cette scène est-elle révélatrice du caractère d'Œdipe ? Vous vous appuierez sur le film et la tragédie Œdipe roi pour répondre.
Comment réagit Œdipe face au Sphinx dans le film de Pasolini ?
Qui tente d'empêcher Œdipe de découvrir la vérité ?
Parmi les propositions suivantes, laquelle correspond à un défaut d'Œdipe ?
Quelle est la conséquence directe de la rencontre d'Œdipe avec le Sphinx ?
Dans la pièce de Sophocle, quelle qualité a permis à Œdipe de trouver la réponse à l'énigme du Sphinx ?
L'épisode du Sphinx et son énigme est un des moments-clés de l'histoire d'Œdipe, celui qui lui permet d'épouser Jocaste et donc de faire en sorte que la prophétie annoncée à sa naissance par l'oracle de Delphes soit avérée. L'inceste va en effet être consommé. Toutefois, le personnage d'Œdipe, même s'il est mené vers un destin identique, n'emprunte pas tout à fait la même trajectoire dans la pièce de Sophocle et le film de Pasolini. Quand il crie au Sphinx, dans le film : " je ne veux pas te voir", il révèle une part de son caractère : la violence.
Afin d'analyser le caractère du personnage, on verra tout d'abord son aspect antithétique, puis sa quête de la vérité et enfin sa posture face à la vérité.
Un personnage antithétique
Que ce soit chez Sophocle ou Pasolini, le personnage d'Œdipe est double. Cette dualité s'explique peut-être tout d'abord par l'ignorance qui entoure sa venue au monde. En effet, il ignore tout de son adoption et cette ignorance le jette sur les routes de Thèbes, à la rencontre du Sphinx. Toute sa vie est placée sous le signe de l'ironie tragique : c'est Œdipe lui-même qui va être l'acteur de son propre destin. Il est à la recherche de la vérité, mais en tentant de l'atteindre, il va causer son malheur.
Chez Sophocle, Œdipe est présenté comme celui qui sait, celui qui a la connaissance et, par conséquent, le pouvoir. Il fait preuve de cette qualité lors de son duel avec le Sphinx. Lorsqu'il relate cet événement, il parle de lui en des termes élogieux, se plaçant parmi les devins : "Il fallait là l'art d'un devin. […] Et cependant j'arrive, moi, Œdipe, ignorant de tout, et c'est moi, moi seul, qui lui ferme la bouche, sans rien connaître des présages, par ma seule présence d'esprit." Selon lui, "ce n'était pas le premier venu qui pouvait résoudre l'énigme". À travers cet épisode, l'orgueil du héros est mis en exergue. Cet exploit fait de lui un roi aimé et légitime. Il incarne encore le rôle du héros lorsqu'il promet au peuple de Thèbes de le délivrer du fléau de la peste. Enfin, c'est un mari aimé et aimant ainsi que le père de quatre enfants, ce qui accentue encore la douleur liée à la chute.
Alors que Sophocle ne développe pas le passé du roi, Pasolini dispose d'un champ d'action plus large. Ainsi, dans le film, les moment-clés de la construction du personnage d'Œdipe roi sont mis en valeur mais cela n'a pas pour effet de le grandir. Au contraire, le personnage de Pasolini semble plus sombre que celui de Sophocle. Le fait de montrer l'assassinat du père met en exergue sa violence. Il attaque le convoi et blesse Laïos à deux reprises. De même, sa rencontre avec le Sphinx n'est pas aussi glorieuse que dans le mythe. Il refuse d'entendre ce que lui dit la créature et hurle : "je ne veux pas voir !" avant de le tuer. Au lieu d'être un épisode le peignant de façon positive, c'est une fois encore sa violence qui est mise en avant. Cela fait de lui une sorte de vagabond marginal et violent plutôt qu'un véritable héros conquérant.
Ainsi, la dualité, l'antithèse, sont présentes dès la genèse d'Œdipe. Mais Sophocle et Pasolini ont choisi de les représenter de façons dissemblables. Il en va de même pour la quête du personnage.
Un personnage en quête de vérité
Alors qu'Œdipe règne et qu'il est respecté de tous, un élément perturbateur, la peste, va venir tout bousculer. Chez Sophocle, les ravages sont seulement évoqués alors que chez Pasolini, la violence visuelle opère encore une fois. Le spectateur se voit imposer des images de plaies purulentes et béantes, les victimes sont visibles, pas seulement évoquées et cela marque le spectateur qui sait qui est à l'origine de toutes ces morts innocentes. La peste marque le point de départ de l'enquête menée par le roi afin de protéger ses sujets.
Toutefois, chez Sophocle, l'enquête va rapidement se dédoubler et devenir une sorte de quête existentielle, Œdipe demandant même à Tirésias : "De qui suis-je le fils ?" Cette quête est dangereuse car même s'il veut savoir, la vérité engendrera des conséquences funestes. Lorsque Jocaste comprend qui est le coupable et qu'elle voit Œdipe se rapprocher de la vérité, elle tente de l'en détourner : "Ne pense plus à cela. Oublie ces propos qui n'avancent à rien." Mais Œdipe fait preuve d'orgueil. Il est fier d'avoir trouvé la réponse de l'énigme du Sphinx et veut réitérer l'exploit. C'est cette fierté qui causera sa perte car elle constitue un véritable aveuglement.
Ainsi, chez Sophocle, Œdipe est aveuglé mais il veut tout de même connaître la vérité. Par contre, chez Pasolini, Œdipe lutte et tente de ne pas savoir. C'est ainsi qu'il faut comprendre la réponse faite au questionnement du Sphinx. Il ne s'agit plus d'une devinette mais d'un questionnement intime : "Il y a une énigme dans ta vie. Quelle est-elle ?" Tirésias et Créon tentent de le prévenir par le biais des pancartes : "Ce qu'on ne veut pas savoir n'existe pas." Mais Œdipe justement ne veut pas savoir, il enfouit ses doutes et ses soupçons et se projette dans une sorte de fuite en avant. C'est son passé qui va le rattraper lorsqu'il est contraint à enquêter sur la mort de Laïos.
Quoi qu'il fasse, Œdipe se retrouve finalement face à la vérité et à ce qu'il est. Qu'il ait tenté de fuir la vérité ou de la poursuivre à travers une quête effrénée fait-il de lui un coupable ?
Œdipe face à sa culpabilité
Si celui qui est à l'origine de cette tragédie, Laïos, est déjà mort, son forfait n'a pas expié avec lui et sa descendance porte encore le poids de cette culpabilité. Toutefois, Œdipe, même s'il en paie le prix, n'a pas volontairement commis d'inceste ni de parricide.
Chez Sophocle, le meurtre de Laïos est causé par la réaction excessive d'un jeune homme fougueux ayant été humilié. En effet, il ne fait que répondre à la provocation d'un vieillard lui ayant asséné un coup de fouet en forçant le passage. Il fait certes preuve d'orgueil à cet instant-là, ce qui le pousse au crime, mais il ne sait rien de cet homme, il est aveuglé par la colère. Il en va de même pour le mariage avec la reine. Au départ, Œdipe obtient la main de cette dernière par récompense. Ce n'est pas lui qui la demande en mariage, ce sont les Thébains qui l'offrent en récompense au vainqueur du Sphinx. Œdipe est bien entendu coupable des faits qui lui sont reprochés mais il n'est pas totalement responsable.
Toutefois, chez Pasolini, le parricide est déjà différent. Œdipe fait preuve d'une grande violence et le jeu des regards échangés entre les deux personnages illustre la haine qu'il ressent à l'égard de cet homme qu'il n'a pourtant jamais vu. Fait troublant, Laïos porte sa couronne, Œdipe ne peut donc pas ignorer qu'il s'agit d'un roi. Enfin, le mariage est là aussi organisé selon la volonté du peuple mais il est accepté par les deux époux : "derrière cette volonté, il y avait la leur, subite, et quasiment impudique". Là encore, les regards ont leur importance puisque rien n'est dit mais les deux amants semblent se reconnaître et s'accepter. Même si cela est moins évident pour Œdipe, peut-être parce qu'il ne veut pas voir la vérité, Jocaste semble savoir qui il est et l'accepte en tant que tel.
Œdipe est donc un personnage ambigu qui perturbe car il n'est pas totalement coupable. D'autres que lui ont des parts de responsabilité. Il a cependant agi, notamment tué un homme. Il n'est donc pas innocent. En fait, lorsque Œdipe dit au Sphinx qu'il ne veut pas le voir, il faut comprendre qu'il ne veut pas voir la vérité, il ne veut pas savoir ni qui il est, ni pourquoi il est là. C'est sur cette idée que repose tout le paradoxe de ce personnage. Il est à la recherche d'une vérité qui va le détruire. Ce paradoxe est contenu dans la mutilation qu'il s'inflige. Il ne meurt pas mais il se soustrait au regard du monde.