Dans la pièce de Sophocle, Œdipe déclare : "Hé bien ! je reprendrai l'affaire à son début et l'éclaircirai, moi." En vous appuyant sur votre connaissance de la pièce et du film Œdipe roi, vous justifierez l'utilisation de l'expression "enquête policière" pour définir ces œuvres.
Quel personnage, en relatant les paroles de l'oracle, lance l'enquête policière ?
Suite à quelle rencontre l'enquête prend-elle une nouvelle direction, car Œdipe est en proie au doute ?
De quoi Œdipe accuse-t-il Tirésias ?
Quelle est la particularité de cette enquête ?
Quel personnage relance l'enquête en avouant malgré lui qu'Œdipe est un enfant trouvé ?
Au début de la tragédie, Œdipe est au sommet de sa gloire. Ses noces avec Jocaste sont toutefois devenues monstrueuses en permettant que naissent quatre enfants. Le roi a acquis une autorité, il est respecté par son peuple. Cette situation aurait pu durer encore longtemps, mais les dieux semblent en avoir décidé autrement. La peste qui ravage Thèbes est l'élément déclencheur qui va lancer l'enquête portant sur le meurtrier de Laïos. La particularité de cette enquête, c'est que le roi ne se contente pas de l'ordonner, il compte s'impliquer personnellement : "Hé bien ! je reprendrai l'affaire à son début et l'éclaircirai, moi." Il cause ainsi sa propre perte par le procédé de l'ironie tragique.
C'est pourquoi il semble intéressant de s'interroger sur les aspects renvoyant à l'enquête policière. Tout d'abord, les faits seront examinés, puis ce sera le tour des différents éléments de l'enquête avant d'en arriver, comme Œdipe, à la résolution de l'affaire à travers l'identification du coupable.
Les faits
Tout débute par le meurtre du roi Laïos, assassiné sur la route de Thèbes alors qu'il se rend chez un oracle. Ce crime a été commis des années auparavant. Les champs lexicaux du meurtre et de l'enquête sont bien présents dans la tragédie : "meurtre", "tuer", "crime", "rechercher", "raconter", "trace". Ce qui pourrait sembler étrange, c'est qu'aucune enquête véritable n'ait abouti suite à ce crime. Une raison est cependant avancée par Créon : "La Sphinx, pleine de paroles rusées, nous contraignit de laisser là les choses incertaines pour les choses présentes." Il faudra attendre de longues années et une épidémie de peste pour que cette enquête soit relancée.
C'est sur les paroles de l'oracle, transmises par Créon, que l'enquête policière est déclenchée. Selon ce dernier, l'épidémie continuera à s'abattre sur la ville tant que la souillure de la mort de Laïos ne sera pas lavée. Le coupable doit être démasqué et châtié. Œdipe s'intéresse et pose de nombreuses questions comme s'il s'agissait d'un premier interrogatoire, alors que l'enquête n'a pas encore officiellement commencé : "Quelle est la nature de ce mal ? Par quelle expiation ? [...] Quel est l'homme dont l'oracle rappelle le meurtre ? [...] Sur quelle terre sont-ils ? Comment retrouver quelque trace d'un crime ancien ?" Les circonstances du meurtre sont évoquées ainsi que les éventuels témoins. Œdipe a besoin d'un point de départ pour orienter son enquête.
Il ne va pas désigner quelqu'un pour mener l'enquête, il va lui-même devenir l'enquêteur principal et la mener sur un rythme soutenu. Il a une première expérience positive qui le met en confiance : il est celui qui a résolu l'énigme du Sphinx alors que de nombreux hommes avant lui avaient échoué. Il semble donc disposer d'un esprit logique nécessaire à la résolution de l'enquête. Une fois celle-ci lancée, les découvertes vont bon train et rien ne semble l'arrêter. Toutefois, la particularité de cette enquête est double : l'enquêteur et le coupable ne forment qu'une seule et même personne et l'enquêteur finira par être son propre bourreau. Il mène l'enquête, découvre la vérité, se condamne et exécute la sentence qu'il a décidée pour lui-même.
Les faits sont donc liés à une enquête criminelle. L'enquêteur principal est Œdipe lui-même et il se lance dans l'examen des preuves et des témoignages qui vont lui être proposés même si son aveuglement lui rendra la vérité difficile à voir.
Les éléments de l'enquête
L'enquête va se révéler plus complexe, au niveau des découvertes, que ce à quoi Œdipe pouvait s'attendre. En effet, son objectif est de chercher l'assassin d'un roi tué plusieurs années auparavant. Mais à cette première intrigue viennent se greffer de nouveaux éléments découverts au fur et à mesure de la progression de l'enquête et des révélations qui sont faites. Les difficultés sont nombreuses et Œdipe ne dispose que de peu d'éléments. Il fait donc appel à une personne éclairée censée l'aider dans ses démarches : Tirésias. Or, ce qui s'annonce au départ comme une rencontre courtoise et respectueuse va rapidement devenir un affrontement. Au début de l'entretien, Œdipe se montre respectueux envers l'oracle : "Ô toi, qui pénètres tous les secrets, Tirésias ceux qui sont communicables et ceux qui sont indicibles [...] tu as beau être sans regard, tu es éclairé sur le mal qui hante notre cité." Pourtant, les premiers indices que lui donne le devin se semblent pas être à son goût et il refuse de les entendre, l'accusant même d'avoir commis le crime : "C'est toi ! C'est toi le criminel qui souille ce pays !"
À partir de cet agôn, l'enquête va prendre une nouvelle direction, car Œdipe se met à douter de la parole des oracles. Son doute est d'ailleurs renforcé par la position de Jocaste qui ne croit pas en leur pouvoir. Elle fait preuve d'impiété en remettant en cause leur capacité à comprendre et transmettre la parole des dieux. Ainsi, si la parole des oracles n'est pas sûre, faut-il croire l'oracle de Delphes lorsqu'il ordonne la recherche du meurtrier de Laïos ou est-ce une fausse piste ?
Enfin, l'enquête prend une nouvelle tournure avec le témoignage du Corinthien : Œdipe apprend qu'il a été adopté. L'enquête policière ne va pas être oubliée, mais elle va être associée à une autre enquête, se rapprochant davantage d'une quête personnelle. Œdipe cherche à savoir qui il est, qui sont ses parents et d'où il vient. Cette ultime étape sera ralentie par Jocaste qui a compris avant le roi, tout comme les spectateurs qui connaissent depuis le début l'identité du criminel. Elle prévient d'ailleurs son époux : "Ne pense plus à cela. Oublie ces propos qui n'avancent à rien." puis se montre plus pressante : "Si tu tiens à ta vie, abandonne ces recherches." Malgré tout, la machine est en marche et la résolution est proche. La scène de dénouement permet de résoudre d'un seul coup toutes les enquêtes : le coupable est donc Œdipe, le fils de Laïos. La prophétie était exacte et s'est réalisée.
L'enquête rencontre des rebondissements et progresse grâce aux témoignages et aux révélations. Ces éléments conduisent logiquement Œdipe vers la scène tant attendue des spectateurs : la révélation du véritable meurtrier.
La révélation du coupable
La particularité de cette enquête, outre le fait que les spectateurs connaissent déjà le coupable, c'est que celle-ci va remonter le temps. C'est donc une enquête à rebours qui part de l'épidémie de peste pour remonter, de manière accélérée, le cours de la vie d'Œdipe. Le premier indice est celui révélé par Créon, qui joue le rôle de l'assistant dans l'enquête. Il était présent à Thèbes lors du meurtre de Laïos, ses souvenirs sont précieux.
Œdipe ne va pas aller tout droit vers la solution, il va errer dans une sorte de labyrinthe fait de fausses pistes et d'incompréhensions. Il est sur la défensive, comme s'il se sentait, au fond de lui, en danger. Cette enquête va devenir une véritable obsession, l'empêchant de saisir le sens des indices trouvés. Les personnages secondaires vont l'aider dans sa quête en le mettant sur la voie. Tel est le cas de Tirésias, du messager corinthien qui annonce la mort de Polybe et qui malgré lui révèle à Œdipe qu'il est un enfant trouvé. Créon affronte Œdipe, et Jocaste, en voulant le rassurer, ne fait que confirmer ses doutes.
C'est davantage la quête d'identité qui intéresse Pasolini. Dans le film, la question de la vérité est traitée de façon psychologique, dans le sens où la quête du meurtrier de Laïos devient une quête de soi. Ce que cherche Œdipe finalement, c'est la vérité sur lui-même. On ne peut pas dire qu'Œdipe incarne l'archétype de l'enquêteur policier. Il refuse au contraire de connaître la vérité sur lui-même, mais celle-ci finit par lui être révélée alors qu'il enquêtait sur le meurtrier de Laïos. Il s'agit de voir comment un homme peut trouver une place dans la société : cette quête se teinte d'une portée métaphysique et s'inscrit dans un mythe universel et intemporel puisque trouver sa place et savoir qui l'on est constitue la principale interrogation des hommes depuis l'Antiquité.
La scène de révélation remplit son rôle, l'enquêteur a accompli sa mission, il a trouvé qui était le coupable. Comme il l'avait annoncé de façon prophétique au début de la pièce, il a puni le coupable en se crevant les yeux. La tragédie de Sophocle peut être considérée comme une enquête policière, voire même un modèle du genre, car toutes les composantes sont présentes : le meurtre, l'enquêteur, les témoignages et les indices, les fausses pistes et l'élucidation du crime. Toutefois, une des particularités de cette enquête, c'est qu'elle permet la catharsis grâce au fait surprenant que l'enquêteur soit le coupable.