En comparant les deux œuvres, vous analyserez le traitement du temps dans Œdipe roi.
Sur combien de temps se déroule le mythe d'Œdipe ?
Sur combien de temps se déroule la tragédie Œdipe roi ?
Dans Œdipe roi, qui prononce la phrase : "Ce jour te fera naître et mourir à la fois" ?
Quelle est la durée du temps de la tragédie par rapport au temps du mythe ?
À partir de quel épisode a-t-on l'impression que le temps repart en arrière de manière accélérée dans Œdipe roi ?
Dans une tragédie, le temps a une valeur symbolique forte puisqu'il s'agit à la fois du temps au cours duquel l'action va être jouée, la représentation, mais également le temps renvoyant à l'action, à sa durée qui peut être accélérée ou ralentie selon les effets recherchés. Enfin, le temps peut renvoyer à une force pesant sur les personnages contre laquelle ils se battent en vain. La particularité du temps dans cette tragédie est qu'il dépasse en amont et en aval les bornes de la seule histoire d'Œdipe. De plus, le temps n'est pas traité de façon linéaire, chronologique. C'est pourquoi le traitement du temps dans les deux œuvres va être étudié et comparé. Tout d'abord à travers l'analyse du temps correspondant au mythe d'Œdipe, puis à travers le temps de la tragédie avant d'en arriver au compte à rebours.
Le temps du mythe
L'histoire du mythe d'Œdipe débute bien avant la scène d'exposition. Elle prend racine dans la famille des Labdacides poursuivie par une malédiction qui remonte à une époque lointaine, liée à la fondation de la ville de Thèbes. La famille est maudite jusqu'à ce que le dernier membre de la lignée se soit éteint. La temporalité semble ici infinie, dépassant de beaucoup la durée d'une vie humaine ce qui fait d'Œdipe un personnage maudit bien avant sa naissance. Il est poursuivi par une malédiction, celle d'un dieu incarné par Apollon mais également par le temps qui joue contre lui. Le temps qui l'a laissé consommer ses noces monstrueuses, qui a permis que naissent quatre enfants. Alors que Jocaste tente de freiner le roi dans son enquête, le temps s'accélère car l'heure des révélations est venue. L'histoire d'Œdipe a donc débuté avant la pièce et elle se poursuit après la dernière scène, à travers ses enfants notamment.
Cet aspect propre au mythe d'Œdipe a été conservé par Pasolini qui place l'histoire mythologique en dehors du temps. Le bruit de cris enfantins poussés dans un désert ne fait référence à aucune époque particulière, comme si le temps s'était arrêté. De même, les éléments passés, renvoyant à la jeunesse d'Œdipe, apparaissent comme brouillés, extraits de rêves, de souvenirs. Chez Sophocle, ces événements sont présents de manière indirecte, à travers des récits qui sont racontés au cours de l'enquête. De même, les paroles prononcées par les oracles créent une sorte de répétition, les éléments sont mentionnés une première fois avant d'être vécus par les personnages, d'où une certaine impression de déjà-vu pour les spectateurs.
Cela donne au temps du mythe une sorte de redondance, comme si des échos étaient perceptibles à l'oreille, comme si des épisodes du passé se frayaient un chemin vers le présent. Cette impression est accentuée chez Pasolini grâce aux éléments présents dans le prologue et dans la partie mythologique. C'est le cas en particulier de la scène d'amour entre les parents, dans le prologue, répétée à travers la scène d'amour entre Œdipe et Jocaste plus tard. La réplique prononcée par Œdipe à la fin du film confirme cette dimension cyclique : "Je suis de retour. La vie finit toujours où elle commence." Cette réplique fait également écho à la demande prononcée par Œdipe à l'égard de Créon dans la tragédie de Sophocle, lorsqu'il lui demande d'aller se retirer là où il fut autrefois abandonné.
Le temps du mythe remonte donc à une époque indéterminée, donnant l'impression que la famille a toujours été maudite et que l'on assiste seulement à une étape de cette malédiction qui se poursuivra après la fin de la représentation. Le temps de la tragédie, en comparaison, semble être plus condensé car ramassé sur une seule journée.
Le temps de la tragédie
Le temps de la tragédie est condensé car, contrairement au mythe, la pièce doit avoir un début et une fin. Elle doit être bornée et centrée sur une histoire bien précise. Ici, il s'agit de la quête identitaire d'un homme ; c'est pourquoi la pièce débute alors que l'histoire du personnage est à son paroxysme. Il est puissant, aimé de tous ses sujets, de sa femme, il a quatre enfants et cela pourrait continuer encore longtemps. Toutefois, la peste lance le compte à rebours auquel les personnages doivent faire face et notamment Œdipe. Il faut donc que le nœud dramatique se dénoue rapidement, ce qui est annoncé par Tirésias : "Ce jour te fera naître et mourir à la fois". Même si la tragédie antique n'est pas soumise à la règle des trois unités, une impression d'urgence se dégage de cette tragédie qui se déroule en quelques heures.
Le rythme de la pièce est donc soutenu, les éléments constituant l'enquête sur le meurtrier de Laïos s'emboîtent comme les pièces d'un puzzle et seront bientôt associés à ceux portant sur la quête existentielle du souverain. Cela n'est guère vraisemblable d'ailleurs, si ce n'est une preuve de plus de l'intervention des dieux afin que la vérité éclate de façon plus spectaculaire. Pasolini joue avec cette impression de concentration en réduisant les dialogues, en favorisant les stichomythies et les transitions rapides. L'accélération met encore davantage en valeur l'avancée inexorable du temps vers la scène de révélation finale, conduisant à la tragédie. Toutefois, à certains moment, le temps semble s'arrêter comme s'il était suspendu. Le temps est donc à la fois distendu et fragmenté.
Ce qui permet au temps de paraître fragmenté, ce sont les prophéties qui viennent scander toute la tragédie. Le déroulement des actions n'est donc plus linéaire mais progresse par le biais de prolepses. Toutefois ces annonces concernant le futur sont toutes particulières car elles ne trouvent leurs explications que dans le passé, ainsi le futur ne pourra être compris que lorsque le voile du passé sera levé. Les trois époques : passé, présent et futur, s'entremêlent tout au long de l'intrigue.
Le temps de la tragédie est plus dense, il semble s'accélérer au fil des découvertes mais il ne s'écoule pas de façon ordinaire, il est fait de retour en arrière et d'anticipations, créant des effets d'échos troublants.
Un compte à rebours
La fin d'Œdipe débute au moment où il prend la décision de mener lui-même, personnellement, l'enquête sur la mort de Laïos, comme si une force invisible le poussait vers sa destinée.
Il s'agit de refaire le film, de revivre un à un les événements qui l'ont conduit à ce point de départ en les observant sous un nouveau jour. Le temps semble donc se refermer sur lui-même : la première partie de la vie d'Œdipe débute par son abandon puis son adoption, l'oracle de Delphes qui lui annonce la terrible malédiction le jetant sur les routes de Thèbes, le meurtre de Laïos, sa victoire sur le Sphinx et le mariage avec Jocaste. Le temps qui s'est écoulé au cours de cette première tranche de vie l'a été sur un rythme qui semble lent afin de laisser aux personnages le temps de s'inscrire dans cette vie et cette temporalité.
Puis, le temps procède à une sorte de marche arrière à partir de l'épidémie de peste. Il se fige un instant puis repart en sens inverse mais de façon beaucoup plus rapide, en accéléré. Cette accélération est perceptible grâce aux scènes de reconstitution et aux témoignages qui permettent de faire revivre le passé. Le temps semble donc s'inverser et développer une logique liée à la raison. Ce ne sont plus les dieux qui font progresser le temps mais Œdipe qui tente de découvrir la vérité même si celle-ci doit causer sa perte.
Pasolini fait subir au temps une nouvelle distorsion en encadrant le récit mythologique d'un prologue et d'un épilogue contemporains, ancrés dans sa vie à lui. Il dresse donc des ponts entre des époques très éloignées, jouant avec le temps. Les éléments présents sont autobiographiques tout en étant universels car la dernière image, celle d'Œdipe jouant de la flûte, comme un poète, un prophète, semble vouloir dire que c'est l'histoire de tous les hommes qu'il vient de raconter.
Le temps est donc malléable, au service de divinités qui jouent avec de simples mortels. Alors que le temps associé au mythe semble éternel, les heures accordées aux hommes paraissent beaucoup plus courtes. Le traitement du temps est très différent d'une œuvre à l'autre tout comme le traitement du mythe ou de la tragédie. Dans le mythe, le temps s'étire sur de nombreuses années, il correspond à la temporalité des dieux, il est question d'une famille entière et de nombreuses générations. Le temps de la tragédie est beaucoup plus court, plus dense et chaotique. Le passé resurgit et apporte les réponses nécessaires à un positionnement futur. Le temps joue bien contre les personnages voire même avec les personnages à travers les nombreuses prophéties.