Adapté de Pondichéry, 2007, voies technologiques
Vous répondrez à cette question en utilisant les textes du corpus, mais aussi des exemples empruntés aux œuvres étudiées en classe ou lues personnellement.
On associe souvent poésie et lyrisme. Toutefois, la poésie consiste-t-elle pour le poète à exprimer uniquement ses sentiments personnels ?
Texte A : Victor Hugo, Les Contemplations, IV
1856
Dans la seconde partie du recueil Les Contemplations, Victor Hugo évoque sa douleur de père après la mort de sa fille.
Oh ! je fus comme fou dans le premier moment,
Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement.
Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,
Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance,
Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ?
Je voulais me briser le front sur le pavé ;
Puis je me révoltais, et, par moments, terrible,
Je fixais mes regards sur cette chose horrible,
Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : Non !
- Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom
Qui font que dans le cœur le désespoir se lève ? -
Il me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve,
Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté,
Que je l'entendais rire en la chambre à côté,
Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte,
Et que j'allais la voir entrer par cette porte !
Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé !
Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé !
Attendez ! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute !
Car elle est quelque part dans la maison sans doute !
Texte B : Paul Éluard, "Sept poèmes d'amour en guerre"
1943
Au nom du front parfait profond
Au nom des yeux que je regarde
Et de la bouche que j'embrasse
Pour aujourd'hui et pour toujours
Au nom de l'espoir enterré
Au nom des larmes dans le noir
Au nom des plaintes qui font rire
Au nom des rires qui font peur
Au nom des rires dans la rue
De la douceur qui lie nos mains
Au nom des fruits couvrant les fleurs
Sur une terre belle et bonne
Au nom des hommes en prison
Au nom des femmes déportées
Au nom de tous nos camarades
Martyrisés et massacrés
Pour n'avoir pas accepté l'ombre
Il nous faut drainer la colère
Et faire se lever le fer
Pour préserver l'image haute
Des innocents partout traqués
Et qui partout vont triompher.
Texte C : René-Guy Cadou, "Hélène ou le règne végétal"
1945
Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires
Dans les années de sécheresse quand le blé
Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps
Je t'attendais et tous les quais toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais
Tu ne remuais encore que par quelques paupières
Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou
Et pourtant c'était toi dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m'éveillait
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays
Ces astres ces millions d'astres qui se levaient
Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau
Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux enlacés par les rues.
Texte D : Jean Tardieu, Formeries
1976
Conjugaisons et interrogations
J'irai je n'irai pas je n'irai pas
Je reviendrai Est-ce que je reviendrai ?
Je reviendrai Je ne reviendrai pas
Pourtant je partirai (serais-je déjà parti ?)
Parti reviendrai-je ?
Et si je partais ? Et si je ne partais pas ? Et si je ne revenais pas ?
Elle est partie, elle ! Elle est bien partie. Elle ne revient pas
Est-ce qu'elle reviendra ? Je ne crois pas Je ne crois pas qu'elle revienne
Toi, tu es là Est-ce que tu es là ? Quelquefois tu n'es pas là.
Ils s'en vont, eux. Ils vont ils viennent
Ils partent ils ne partent pas ils reviennent ils ne reviennent plus
Si je partais, est-ce qu'ils reviendraient ?
Si je restais, est-ce qu'ils partiraient ?
Si je pars, est-ce que tu pars ?
Est-ce que nous allons partir ?
Est-ce que nous allons rester ?
Est-ce que nous allons partir ?
Quelle définition de la poésie Jean Tardieu défend-il dans le texte suivant ?
Texte D : Jean Tardieu, Formeries
1976
Conjugaisons et interrogations
J'irai je n'irai pas je n'irai pas
Je reviendrai Est-ce que je reviendrai ?
Je reviendrai Je ne reviendrai pas
Pourtant je partirai (serais-je déjà parti ?)
Parti reviendrai-je ?
Et si je partais ? Et si je ne partais pas ? Et si je ne revenais pas ?
Elle est partie, elle ! Elle est bien partie. Elle ne revient pas
Est-ce qu'elle reviendra ? Je ne crois pas Je ne crois pas qu'elle revienne
Toi, tu es là Est-ce que tu es là ? Quelquefois tu n'es pas là.
Ils s'en vont, eux. Ils vont ils viennent
Ils partent ils ne partent pas ils reviennent ils ne reviennent plus
Si je partais, est-ce qu'ils reviendraient ?
Si je restais, est-ce qu'ils partiraient ?
Si je pars, est-ce que tu pars ?
Est-ce que nous allons partir ?
Est-ce que nous allons rester ?
Est-ce que nous allons partir ?
À partir du XIXe siècle, comment appelle-t-on un poète malheureux et mélancolique qui n'a pas de succès ou se sent incompris ?
Comment appelle-t-on l'expression des sentiments personnels en poésie ?
Quel auteur est célèbre pour avoir écrit de la prose poétique ?
Quel type de poésie Paul Éluard écrit-il d'après le texte suivant ?
Texte B : Paul Éluard, "Sept poèmes d'amour en guerre"
1943
Au nom du front parfait profond
Au nom des yeux que je regarde
Et de la bouche que j'embrasse
Pour aujourd'hui et pour toujours
Au nom de l'espoir enterré
Au nom des larmes dans le noir
Au nom des plaintes qui font rire
Au nom des rires qui font peur
Au nom des rires dans la rue
De la douceur qui lie nos mains
Au nom des fruits couvrant les fleurs
Sur une terre belle et bonne
Au nom des hommes en prison
Au nom des femmes déportées
Au nom de tous nos camarades
Martyrisés et massacrés
Pour n' avoir pas accepté l'ombre
Il nous faut drainer la colère
Et faire se lever le fer
Pour préserver l'image haute
Des innocents partout traqués
Et qui partout vont triompher.
Pourquoi peut-on dire que le poème de Victor Hugo est lyrique ?
Texte A : Victor Hugo, Les Contemplations, IV
1856
Dans la seconde partie du recueil Les Contemplations, Victor Hugo évoque sa douleur de père après la mort de sa fille.
Oh ! je fus comme fou dans le premier moment,
Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement.
Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,
Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance,
Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ?
Je voulais me briser le front sur le pavé ;
Puis je me révoltais, et, par moments, terrible,
Je fixais mes regards sur cette chose horrible,
Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : Non !
- Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom
Qui font que dans le cœur le désespoir se lève ? -
Il me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve,
Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté,
Que je l'entendais rire en la chambre à côté,
Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte,
Et que j'allais la voir entrer par cette porte !
Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé !
Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé !
Attendez! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute !
Car elle est quelque part dans la maison sans doute !
Quel thème traditionnel de la poésie aborde Hélène Cadou dans le poème suivant ?
Texte C : René-Guy Cadou, "Hélène ou le règne végétal"
1945
Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires
Dans les années de sécheresse quand le blé
Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps
Je t'attendais et tous les quais toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais
Tu ne remuais encore que par quelques paupières
Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou
Et pourtant c'était toi dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m'éveillait
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays
Ces astres ces millions d'astres qui se levaient
Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau
Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux enlacés par les rues.
Quel plan correspond à la réponse à cette problématique ?
La poésie est née dans l'Antiquité, en Grèce. Le premier mythe du poète est celui d'Orphée, musicien qui chante avec sa lyre et va jusqu'aux Enfers pour tenter de sauver la femme qu'il aime. Ainsi, dès ses origines, la poésie est liée aux sentiments. Jusqu'au XIXe siècle, le genre poétique est très normé en France. Les poètes chantent l'amour et les souffrances des hommes. Le cliché du poète solitaire et malheureux se développe. Au XIXe siècle, l'appellation "poète maudit" naît sous la plume de Verlaine. Le registre lyrique est le plus utilisé en poésie. Il sert à exprimer des sentiments personnels. Dès lors, la poésie semble le genre littéraire le plus approprié pour dire les émotions humaines, et le poète celui qui expérimente les sentiments et les retranscrit.
Toutefois, la poésie n'a-t-elle pas d'autres fonctions que celle d'exprimer des sentiments personnels ?
Dans une première partie, nous verrons en quoi la poésie est le genre littéraire par excellence qui permet l'expression des sentiments. Dans une seconde partie, nous analyserons quelles sont les autres fonctions de la poésie.
La poésie pour exprimer les sentiments, les désirs, les angoisses et les tourments
L'amour, un sujet hautement poétique
La poésie, dès sa naissance, est associée à l'amour :
- Orphée, qui symbolise le premier poète dans le mythe du même nom, a reçu une lyre comme cadeau d'Apollon. Les Muses lui apprennent à jouer de cet instrument, et il se met à charmer tout le monde. Profondément amoureux de sa femme Eurydice, il va jusqu'à descendre aux Enfers pour la sauver.
- L'amour est le sujet de prédilection des poètes. Les poètes de cour, depuis le Moyen Âge, chantent la beauté des femmes et célèbrent l'amour. C'est le cas de Pierre de Ronsard, "Prince des poètes", qui a écrit de nombreux sonnets d'amour, à Cassandre, à Marie et à Hélène.
- La poésie lyrique est la première à voir le jour, et elle perdure encore aujourd'hui, de Virgile à Apollinaire. Ainsi, dans "Hélène ou le règne végétal", René-Guy Cadou, poète du XXe siècle, fait l'éloge de la femme aimée, et évoque avec lyrisme le sentiment amoureux : "tous deux enlacés par les rues".
Les souffrances du poète
Si l'amour est un sujet prisé par les poètes, l'expression des malheurs et des souffrances est également un thème majeur dans la poésie lyrique :
- La poésie permet d'exprimer la tristesse liée au deuil. C'est ce que fait Victor Hugo dans Les Contemplations, recueil de poèmes qu'il écrit après la mort de sa fille Léopoldine. Il utilise le registre lyrique, on retrouve bien la première personne du singulier "je". On relève des interjections comme "hélas" et "oh", et une ponctuation très expressive. Le thème de la tristesse est présent dans tout le poème : "amèrement", "pleurai", "malheurs", "désespoir". Le poète exprime sa souffrance : "souffert", "souffrance".
- La poésie permet d'exprimer la tristesse liée au manque. Du Bellay dans Les Regrets évoque la France et sa campagne natale qui lui manquent alors qu'il est à Rome.
- La poésie permet d'exprimer la mélancolie. C'est un des sujets de prédilection des poètes. Lamartine avec "Le Lac", ou encore Verlaine dans son recueil Poèmes saturniens, expriment leur désespoir face au temps qui passe et à la mort prochaine.
La figure du poète mélancolique et solitaire
C'est parce que le poète est lié à la souffrance et à l'expression des sentiments personnels que la figure du "poète maudit", solitaire, incompris et mélancolique, s'est développée.
- Le poète est incompris par les autres hommes, donc il est malheureux. C'est cette idée que développe Baudelaire dans le poème "L'Albatros", où il compare le poète au "prince des nuées" qui est moqué par les marins.
- Le poète souffre, car il est en manque d'inspiration. Dans le poème "Le Poète et la muse", Verlaine exprime ainsi la difficulté pour le poète à trouver du matériau poétique. Il souligne d'ailleurs la solitude du poète en répétant l'adjectif "seul" plusieurs fois.
- Verlaine développe de nouveau cette idée dans son ouvrage Les Poètes maudits publié en 1884. Il cite Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé comme des poètes incompris et talentueux.
Si le poète exprime souvent ses sentiments personnels avec lyrisme, la poésie n'a toutefois pas pour unique fonction de permettre de poétiser les émotions.
Les autres fonctions de la poésie
La poésie pour blâmer ; instruire ou combattre
La poésie peut servir à moquer pour dénoncer, ou bien à défendre des idées :
- La poésie satirique permet aux poètes de se moquer des puissants et des défauts des hommes. La Fontaine critique le roi Louis XIV dans de nombreuses fables comme "Les Animaux malades de la peste" ou encore "La Cour du Lion". Il dénonce l'injustice de son temps et les privilèges des nobles. Il fait un portrait négatif du roi de France à travers le lion.
- La poésie engagée permet de défendre des idées et de lutter contre l'injustice. Dans son recueil Les Châtiments, Victor Hugo dénonce la prise de pouvoir de Napoléon III et appelle à la révolte. Il défend les idées républicaines. Le poète a un rôle de prophète. Il est celui qui guide le peuple.
- Au XXe siècle, de nombreux poètes se lancent dans la Résistance contre le nazisme en écrivant des poèmes. C'est le cas de Louis Aragon, Paul Éluard ou encore Robert Desnos.
La poésie pour enrichir la langue
La poésie a également pour fonction de créer de nouveaux langages, d'inventer de nouvelles façons de jouer avec les mots :
- Le poète est celui qui joue avec les mots. Verlaine écrit ainsi : "de la musique avant toute chose".
- Le poète invente un langage et des formes poétiques. Les romantiques, au XIXe siècle, refusent les règles classiques qu'ils jugent trop restrictives. Ils proclament la liberté poétique. Ainsi, Victor Hugo parle de mettre un "bonnet rouge au dictionnaire". Tous les mots deviennent poétiques. Le rythme devient plus heurté, plus libre.
- La poésie s'affranchit des formes poétiques. Baudelaire se met à écrire des poèmes en prose, rejetant la forme classique des strophes et des vers. Il publie ainsi un recueil de poésie, Petits poèmes en prose.
- La forme poétique devient de plus en plus libre au XIXe siècle. Ainsi, Apollinaire écrit de nombreux calligrammes.
La poésie pour révéler ou transfigurer le monde
Le poète est celui qui porte un regard neuf sur le monde. Il transfigure ce qui l'entoure en posant un regard poétique dessus :
- Le rôle du poète est d'être un médiateur. C'est l'idée que développe Baudelaire dans le poème "Correspondances". Il écrit que la nature est pleine de signes cachés, qui sont la preuve d'une existence divine. Mais les hommes n'y font pas attention. Seul le poète peut les voir. Ainsi, le rôle du poète est de pousser les hommes à voir ces signes.
- Le poète est celui qui peut offrir la vérité aux hommes. Verlaine écrit que le poète est celui qui découvre les "beaux yeux derrière des voiles". Le poète fait découvrir le monde.
- La poésie permet également de transformer le monde. Francis Ponge fait du pain ou du cageot des objets poétiques. Le pain devient un petit cosmos, et le cageot est une allégorie du temps qui passe. Le poète pousse les hommes à redécouvrir leur quotidien.
La poésie ne peut pas être limitée au lyrisme. Si les poètes ont d'abord chanté l'amour, et utilisé la poésie pour exprimer leurs sentiments, ils ont également attribué d'autres fonctions à leur art. La poésie dit l'amour, la souffrance, et le poète est l'homme mélancolique qui chante la condition humaine et les émotions. Mais la poésie est également engagée, elle est création, elle est transfiguration du monde. La poésie se nourrit de tout, et la liberté créatrice des poètes permet d'en faire un art protéiforme et foisonnant qui ne se limite pas à l'expression des sentiments.