Distinguer héros et anti-héros Exercice fondamental

Le héros antique est un demi-dieu : par extension, l'appellation désigne celui qui accomplit des actions hors du commun des mortels mais aussi le personnage principal du roman. Or, celui-ci n'a parfois rien d'héroïque. Nous verrons tout d'abord les caractéristiques du héros de roman. Puis, dans un second temps, nous analyserons la progressive apparition de la figure de l'anti-héros.

Si héros et anti-héros désignent tous deux le personnage principal du roman, ils se distinguent fortement par leurs caractéristiques. Le héros hérite de l'idée antique d'un personnage hors du commun des mortels. Il se distingue de la destinée commune par la grandeur de son caractère et de ses actions : c'est ce qui justifie qu'il soit le personnage central de l'intrigue, que l'auteur écrive un roman qui relate ses accomplissements et le propose comme modèle au lecteur. Dans le roman épique, comme Clélie de Mme de Scudéry, les aventures que vivent les héros et la dimension symbolique de leurs exploits les rapprochent des héros antiques. C'est la dimension idéalisée du personnage qui en fait un héros, un modèle hors du commun proposé au lecteur. Le roman romanesque au XVIIe puis le roman romantique au XIXe privilégient des héros qui dominent le roman et structurent l'intrigue par leurs actes sublimes. Les grands héros de romans historiques ou de drames romantiques comme Jean Valjean chez Hugo ou Lorenzaccio chez Musset conservent une dimension épique mais s'éloignent de la dimension idéalisée des archétypes de héros.

Or tous les personnages principaux de roman ne présentent pas des caractéristiques héroïques : le célèbre Don Quichotte, inventé par Cervantès, est un exemple emblématique d'anti-héros, de personnage picaresque. En effet, progressivement, le personnage du roman commence à se distinguer du héros, dans son acception classique et antique du terme. L'anti-héros est avant tout un être commun, non idéalisé, qui intéresse davantage par son devenir que par ses actions : à travers lui, le romancier recherche un effet de réel que l'on trouve par exemple dans les romans comiques comme celui de Sorel : les héros sont à hauteur d'homme afin d'offrir un miroir à leur société. Le XIXe siècle est notamment emblématique de cette figure : les romanciers réalistes et naturalistes mettent en avant des héros banals, plus proches de la réalité, des êtres médiocres, prisonniers de leur milieu et de leur quotidien, qui incarnent les nuances des individus. Zola écrit ainsi que "le premier homme venu est un héros suffisant" (Deux définitions du roman, 1866). Madame Bovary, par exemple, fait face tout au long du roman à l'ennui de son mariage sans rien accomplir. On parle alors d'"anti-héros". Ils permettent souvent au romancier de porter un regard très critique sur sa société. Certains romanciers vont jusqu'à mettre au centre de leurs intrigues des héros négatifs auxquels il est impossible de s'identifier : les héros de Zola sont frappés par des vices qui les rendent monstrueux, comme Jacques Lantier et ses pulsions de meurtre dans La Bête humaine. La prouesse du romancier est alors de capter l'attention de son lecteur sur le destin de ce héros paradoxal. Pour finir, le XXe va jusqu'à soupçonner le héros : c'est l'ère du soupçon qui voit émerger des personnages souvent privés de réalité, d'attributs, de buts, de noms. Le romancier insiste beaucoup plus sur la vie intérieure de ces anti-héros que sur leurs actes. C'est le cas de l'ambigu Meursault dans L'Étranger de Camus, ou plus généralement des personnages de Sarraute.