À votre tour, racontez le combat physique d'un personnage contre un objet de votre choix. Vous veillerez à la qualité littéraire de votre texte.
Texte A : Fénélon, Les Aventures de Télémaque
1699
Ce roman fut composé par Fénelon pour l'éducation de l'héritier royal à une époque où le souverain se doit de maîtriser l'art de la guerre. Dans notre extrait, le prince grec, Télémaque, prisonnier en Égypte, assiste à une guerre civile.
Je fus, du haut de cette tour, spectateur d'un sanglant combat. Les Égyptiens qui avaient appelé à leur secours les étrangers, après avoir favorisé leur descente, attaquèrent les autres Égyptiens, qui avaient le roi à leur tête. Je voyais ce roi qui animait les siens par son exemple : il paraissait comme le dieu Mars1. Des ruisseaux de sang coulaient autour de lui. Les roues de son char étaient teintes d'un sang noir, épais et écumant. À peine pouvaient-elles passer sur des tas de corps morts écrasés. Ce jeune roi, bien fait, vigoureux, d'une mine haute et fière, avait dans ses yeux la fureur et le désespoir : il était comme un beau cheval qui n'a point de bouche2 ; son courage le poussait au hasard, et la sagesse ne modérait point sa valeur. Il ne savait ni réparer ses fautes, ni donner des ordres précis, ni prévoir les maux qui le menaçaient, ni ménager les gens dont il avait le plus grand besoin. Ce n'était pas qu'il manquât de génie. Ses lumières égalaient son courage, mais il n'avait jamais été instruit par la mauvaise fortune, ses maîtres avaient empoisonné par la flatterie son beau naturel. Il était enivré de sa puissance et de son bonheur ; il croyait que tout devait céder à ses désirs fougueux : la moindre résistance enflammait sa colère. Alors il ne résonnait plus. Il était comme hors de lui-même. Son orgueil furieux en faisait une bête farouche. Sa bonté naturelle et sa droite raison l'abandonnaient en un instant. Ses plus fidèles serviteurs étaient réduits à s'enfuir. Il n'aimait plus que ceux qui flattaient ses passions. Ainsi il prenait toujours des partis extrêmes contre ses véritables intérêts, et il forçait tous les gens de bien à détester sa folle conduite. Longtemps sa valeur le soutint contre la multitude de ses ennemis. Mais enfin il fut accablé. Je le vis périr : le dard3 d'un Phénicien perça sa poitrine. Il tomba de son char, que les chevaux traînaient toujours, et ne pouvant plus tenir les rênes, il fut mis sous les pieds des chevaux. Un soldat de l'île de Chypre lui coupa la tête, et, la prenant par les cheveux, il la montra comme un triomphe à toute l'armée victorieuse.
"Je me souviendrai toute ma vie d'avoir vu cette tête qui nageait dans le sang, ces yeux fermés et éteints, ce visage pâle et défiguré, cette bouche entrouverte, qui semblait vouloir encore achever des paroles commencées, cet air superbe et menaçant, que la mort même n'avait pu effacer. Toute ma vie il sera peint devant mes yeux, et si jamais les dieux me faisaient régner, je n'oublierais point, après un si funeste exemple, qu'un roi n'est digne de commander, et n'est heureux dans sa puissance, qu'autant qu'il la soumet à la raison. Hé ! quel malheur, pour un homme destiné à faire le bonheur public, de n'être le maître de tant d'hommes que pour les rendre malheureux."
1 Mars : dieu de la guerre
2 cheval qui n'a point de bouche : le cheval qui n'obéit pas
3 dard : arme de jet
Texte B : Victor Hugo, Quatrevingt-Treize
1874
Sur un navire de guerre, en pleine tempête, un canon mal arrimé menace de provoquer le naufrage et sème la panique à bord.
Alors une chose farouche commença ; spectacle titanique ; le combat du canon contre le canonnier ; la bataille de la matière et de l'intelligence, le duel de la chose contre l'homme.
L'homme s'était posté dans un angle, et, sa barre de sa corde dans ses deux poings, adossé à une porque1, affermi sur ses jarrets2 qui semblaient deux piliers d'acier, livide, calme, tragique, comme enraciné dans le plancher, il attendait.
Il attendait que le canon passât près de lui.
Le canonnier connaissait sa pièce, et il lui semblait qu'elle devait le connaître. Il vivait depuis longtemps avec elle. Que de fois il lui avait fourré la main dans la gueule ! C'était son monstre familier. Il se mit à lui parler comme à son chien.
- Viens, disait-il. Il l'aimait peut-être.
Il paraissait souhaiter qu'elle vînt à lui.
Mais venir à lui, c'était venir sur lui. Et alors il était perdu. Comment éviter l'écrasement ? Là était la question. Tous regardaient, terrifiés.
Pas une poitrine ne respirait librement, excepté peut-être celle du vieillard qui était seul dans l'entrepont avec les deux combattants, témoin sinistre.
Il pouvait lui-même être broyé par la pièce. Il ne bougeait pas.
Sous eux le flot, aveugle, dirigeait le combat.
Au moment où, acceptant ce corps-à-corps effroyable, le canonnier vint provoquer le canon, un hasard des balancements de la mer fit que la caronade3 demeura un moment immobile et comme stupéfaite. "Viens donc !" lui disait l'homme. Elle semblait écouter.
Subitement elle sauta sur lui. L'homme esquiva le choc. La lutte s'engagea. Lutte inouïe. Le fragile se colletant4 avec l'invulnérable. Le belluaire5 de chair attaquant la bête d'airain. D'un côté une force, de l'autre une âme.
Tout cela se passait dans une pénombre. C'était comme la vision indistincte d'un prodige.
Une âme ; chose étrange, on eût dit que le canon en avait une, lui aussi ; mais une âme de haine et de rage. Cette cécité paraissait avoir des yeux. Le monstre avait l'air de guetter l'homme. Il y avait, on l'eût pu croire du moins, de la ruse dans cette masse. Elle aussi choisissait son moment. C'était on ne sait quel gigantesque insecte de fer ayant ou semblant avoir une volonté de démon. Par moment, cette sauterelle colossale cognait le plafond bas de la batterie, puis elle retombait sur ses quatre roues comme un tigre sur ses quatre griffes, et se remettait à courir sur l'homme. Lui, souple, agile, adroit, se tordait comme une couleuvre sous tous ces mouvements de foudre. Il évitait les rencontres, mais les coups auxquels il se dérobait tombaient sur le navire et continuaient de le démolir.
Un bout de chaîne cassée était resté accroché à la caronade. Cette chaîne s'était enroulée on ne sait comment dans la vis du bouton de culasse. Une extrémité de la chaîne était fixée à l'affût6. L'autre, libre, tournoyait éperdument autour du canon dont elle exagérait tous les soubresauts. La vis la tenait comme une main fermée, et cette chaîne, multipliant les coups de bélier par des coups de lanière, faisait autour du canon un tourbillon terrible, fouet de fer dans un poing d'airain. Cette chaîne compliquait le combat. Pourtant l'homme luttait. Même, par instants, c'était l'homme qui attaquait le canon ; il rampait le long du bordage, sa barre et sa corde à la main ; et le canon avait l'air de comprendre, et, comme s'il devinait un piège, fuyait. L'homme, formidable, le poursuivait.
De telles choses ne peuvent durer longtemps. Le canon sembla se dire tout à coup : Allons ! il faut en finir ! et il s'arrêta. On sentit l'approche du dénouement.
1 porque : pièce de bois qui renforce la structure d'un navire
2 jarrets : parties de la jambe
3 caronade : ancien modèle de canon
4 se colletant : se mesurant
5 belluaire : gladiateur qui combat les bêtes fauves
6 affût : chariot supportant un canon
Texte C : Émile Zola, L'Assommoir
1877
Gervaise lave son linge au lavoir. Elle vient d'apprendre que son amant Lantier l'a trompée avec la sœur de Virginie.
Gervaise ôta ses mains, regarda. Quand elle aperçut devant elle Virginie, au milieu de trois ou quatre femmes, parlant bas, la dévisageant, elle fut prise d'une colère folle. Les bras en avant, cherchant à terre, tournant sur elle-même, dans un tremblement de tous ses membres, elle marcha quelques pas, rencontra un seau plein, le saisit à deux mains, le vida à toute volée.
"Chameau, va !" cria la grande Virginie.
Elle avait fait en saut arrière, ses bottines seules étaient mouillées.
Cependant, le lavoir, que les larmes de la jeune femme révolutionnaient depuis un instant, se bousculait pour voir la bataille. Des laveuses, qui achevaient leur pain, montèrent sur des baquets. D'autres accoururent, les mains pleines de savon. Un cercle se forma.
"Ah ! Le chameau ! répétait la grande Virginie. Qu'est-ce qui lui prend, à cette enragée !"
Gervaise en arrêt, le menton tendu, la face convulsée, ne répondait pas, n'ayant point encore le coup de gosier de Paris. L'autre continua :
"Va donc ! C'est las de rouler la province, ça n'avait pas douze ans que ça servait de paillasse à soldats, ça a laissé une jambe dans son pays… Elle est tombée de pourriture, sa jambe…"
Un rire courut. Virginie, voyant son succès, s'approcha de deux pas, redressant sa haute taille, criant plus fort :
"Hein ! Avance un peu, pour voir, que je te fasse ton affaire ! Tu sais, il ne faut pas venir nous embêter, ici… Est-ce que je la connais, moi, cette peau ! Si elle m'avait attrapée, je lui aurais joliment retroussé ses jupons ; vous auriez vu ça. Qu'elle dise seulement ce que je lui ai fait… Dis, rouchie1, qu'est-ce qu'on t'a fait ?
- Ne causez pas tant, bégaya Gervaise. Vous savez bien… On a vu mon mari, hier soir... Et taisez-vous, parce que je vous étranglerais, bien sûr.
- Son mari ! Ah ! Elle est bonne, celle-là !... Le mari à madame ! Comme si on avait des maris avec cette dégaine !... Ce n'est pas ma faute s'il t'a lâchée. Je ne te l'ai pas volé, peut-être. On peut me fouiller... Veux-tu que je te dise, tu l'empoisonnais, cet homme. Il était trop gentil pour toi… Avait-il son collier, au moins ? Qui est-ce qui a trouvé le mari à madame ?... Il y aura récompense…"
Les rires recommencèrent. Gervaise, à voix presque basse, se contentait toujours de murmurer :
"Vous savez bien, vous savez bien… C'est votre sœur, je l'étranglerai, votre sœur…
- Oui, va te frotter à ma sœur, reprit Virginie en ricanant. Ah ! C'est ma sœur ! C'est bien possible, ma sœur a un autre chic que toi… Mais est-ce que ça me regarde ! Est-ce qu'on ne peut plus laver son linge tranquillement ! Flanque-moi la paix, entends-tu, parce qu'en voilà assez !"
1rouchie : insulte argotique synonyme de prostituée
Texte D : Raymond Queneau, Zazie dans le métro
1959
La scène raconte une bagarre dans un café.
C'était maintenant des troupeaux de loufiats1 qui surgissaient de toutes parts. Jamais on upu croire qu'il y en u tant2. Ils sortaient des cuisines, des caves, des offices, des soutes. Leur masse serrée absorba Gridoux puis Turandot aventuré parmi eux. Mais ils n'arrivaient pas à réduire Gabriel aussi facilement. Tel le coléoptère attaqué par une colonne myrmidonne3, tel le bœuf assailli par un banc hirudinaire4 , Gabriel se secouait, s'ébrouait, s'ébattait, projetant dans des directions variées des projectiles humains qui s'en aillaient briser tables et chaises ou rouler entre les pieds des clients.
Le bruit de cette controverse5 finit par éveiller Zazie. Apercevant son oncle en proie à la meute limonadière, elle hurla : courage, tonton ! et s'emparant d'une carafe la jeta au hasard dans la mêlée. Tant l'esprit militaire est grand chez les filles de France. Suivant cet exemple, la veuve Mouaque dissémina des cendriers autour d'elle. Tant l'esprit d'imitation peut faire faire de choses aux moins douées. S'entendit alors un fracas considérable : Gabriel venait de s'effondrer dans la vaisselle, entraînant parmi les débris sept loufiats déchaînés, cinq qui avaient pris parti et un épileptique.
D'un seul mouvement se levant, Zazie et la veuve Mouaque s'approchèrent du magma humain qui s'agitait dans la sciure et la faïence. Quelques coups de siphon6 bien appliqués éliminèrent de la compétition quelques personnes au crâne fragile. Grâce à quoi, Gabriel put se relever, déchirant pour ainsi dire le rideau formé par ses adversaires, du même coup révélant la présence abîmée de Gridoux et de Turandot allongés contre le sol. Quelques jets aquagazeux dirigés sur leur tronche par l'élément féminin et brancardier les remirent en situation. Dès lors, l'issue du combat n'était plus douteuse.
1 loufiats : terme argotique désignant les garçons de café
2 "Jamais on upu croire qu'il y en u tant" : orthographe fantaisiste pour "jamais on n'eût pu croire qu'il y en eût tant"
3 colonne myrmidonne : colonne de fourmis. Myrmidons : peuple, selon la légende, issu de la métamorphose d'une colonie de fourmis et conduit par Achille pendant la guerre de Troie
4 hirudinaire : qui est formé de sangsues
5 controverse : débat
6 siphon : bouteille remplie d'une boisson gazeuse ; jeu de mots avec l'expression argotique "recevoir un coup sur le siphon" sur la tête
Qu'est-ce que le registre épique ?
À quel genre l'invention doit-elle se conformer ?
Quel paragraphe est adapté au registre de langue demandé ?
Quelle forme peut prendre l'adversaire du personnage ?
Quel champ lexical doit absolument être utilisé ?
- Il s'agit d'inventer le combat d'un homme avec un objet de votre choix. Le sujet d'invention se réfère donc plutôt au texte de Victor Hugo. Un objet n'est pas un animal ni une armée.
- On peut choisir la tonalité du texte. En effet, les quatre textes du corpus proposent des registres différents, et la consigne ne stipule pas si le texte doit être épique, comique, tragique, lyrique, etc. On êtes donc libre de choisir. Toutefois, une fois un registre choisi, il faut s'y conformer.
- Le combat est caractérisé comme "physique". Il faut donc que le personnage soit physiquement impliqué dans le combat.
- Les textes du corpus étant au passé, il est préférable d'utiliser ce temps.
- Le point de vue adopté doit être celui d'un narrateur externe, comme dans les quatre textes.
- Le genre est le roman. Il faut donc respecter les règles romanesques.
- On attend une évolution dans le texte. Idéalement, le texte commence avec le début de combat, vient ensuite la lutte, puis il faut un vainqueur entre les deux combattants.
- Il faut reprendre le champ lexical du combat qui est utilisé dans les textes du corpus.
- Il faut utiliser des figures de style (par exemple personnification de l'objet).
- Les textes où un objet original est choisi seront valorisés.
Elle observa avec intensité la théière devant elle. L'objet lui faisait face, dans sa tranquille immobilité. La blancheur de sa porcelaine paraissait l'insulter. Les petits motifs bleus qui la décoraient semblaient la narguer. Elle savait qu'il fallait déployer toute son intelligence pour parvenir à se saisir de l'anse sans se brûler. Elle tremblait à l'idée de se blesser. Elle voyait dans sa tête des bûchers infernaux ; elle frissonnait de peur. Cette vieille théière en fonte se montrait souvent capricieuse et refusait d'être domptée par l'homme ; de nombreux doigts et quelques mains dans la famille avaient déjà souffert de sa résistance. Elle se souvenait surtout d'une énorme cloque sanguinolente sur le pouce de son frère aîné ; mais elle avait aussi bien à l'esprit la chair à vif de son père, et la paume écorchée de sa mère. Cet instrument n'était pas un simple objet domestique, mais un véritable arsenal de guerre à lui tout seul. La théière semblait posséder quelque malicieuse intelligence qui lui permettait de défier l'Homme, et toujours de sortir triomphante. Elle était une réincarnation de Mars, puissante et terrifiante. Elle rappelait aussi Ulysse, l'homme rusé capable de se sortir de toutes les situations. Elle ne se laissait jamais prendre par surprise. Elle était toujours en alerte, toujours prête au combat, toujours prête à l'assaut.
Elle s'approcha doucement de la table, un torchon à la main, et jeta sa paume sur l'objet fumant. Une terrible sensation de brûlure traversa alors le tissu et se glissa sous sa peau. La jeune fille rétracta sa main en criant. Le sang battait dans ses doigts blessés. Son esprit était perturbé. Des larmes de douleur lui brouillaient les yeux. Mais elle refusa de capituler. Elle lança un regard noir de guerrière à son ennemie, triomphante au milieu de la table. Souveraine, la théière contemplait sa victoire, la fumée de l'eau bouillante continuant de se dresser au-dessus d'elle, comme les volutes de poussières après un bombardement. Un silence tomba sur la cuisine, un silence de mort, comme celui qui précède les attaques dans les tranchées où les soldats prennent leur respiration avant de s'élancer, les uns contre les autres, dans une sanguinolente bataille. La jeune fille se mit à tourner autour de la table pour trouver un endroit plus stratégique, mais de tous les côtés la théière pouvait l'observer, telle une impitoyable sentinelle. Elle ne cessa pas de chercher, son cerveau enchaînait des plans guerriers, elle dessinait dans sa tête des cartes précises pour cerner l'ennemi. Elle essaya de nouveau une attaque avec l'autre main, munie cette fois de deux torchons, mais l'échec fut cuisant. Elle cria de douleur, mais de rage aussi. Les deux paumes rougies, les doigts meurtris, elle décida de tenter le tout pour le tout. Elle n'allait tout de même pas laisser un vulgaire petit objet cuisinier la réduire à l'état de victime, à l'état de prisonnière de guerre ! Armée d'une détermination sans borne et d'une fierté qui défiait celle de tous les dieux antiques, la jeune fille s'élança.
Elle sauta sur la table et emprisonna la théière dans ses deux pieds, armés de chaussons en laine épaisse. L'eau chaude jaillit de la théière dans un drôle de cri, tel un giclement sombre de sang brunâtre, mais la jeune fille ne céda pas. Elle attrapa deux maniques de cuisine et se saisit, des deux mains et sans trembler, de l'anse incandescente de l'objet en rage. Elle le souleva alors de la table. Pendant un instant, elle ferma les yeux, cessa de respirer, et attendit avec effroi quelques répercussions terribles à son geste courageux mais inconscient. Le silence lui répondit. Elle ne sentait pas de brûlure, elle n'était pas trempée d'eau incandescente, elle n'entendait pas non plus la théière cracher joyeusement de la fumée… Elle sentait tous ses membres, elle était entière, elle était vivante. Elle ouvrit un œil, puis l'autre. Sans socle sur lequel se tenir, la théière avait perdu de sa splendeur. Elle n'était plus qu'un vulgaire objet de porcelaine, et les petits motifs bleus de ridicules fleurs. La blancheur fière de sa matière était souillée par quelques barbouillis de thé. Sa taille même semblait avoir diminué. Elle était désormais sous l'emprise de la jeune fille, et elle le savait. Elle devrait obéir à ses ordres, et verser le thé. La jeune fille sourit avec fierté de son triomphe militaire. Elle se sentait comme David qui a vaincu Goliath, frêle humain dont la bravoure parvient à défaire les plus grands monstres. Elle se sentait reine, puissante et formidable. La théière, penaude, courbait l'échine. L'Homme avait vaincu la créature, l'Homme avait gagné. La jeune fille se tourna alors vers le placard de la vaisselle pour prendre une tasse de thé… Mais les tasses s'étaient toutes alignées et serrées les unes contre les autres. Elles la défiaient. La jeune fille poussa un soupir d'épuisement. Elle reposa la théière sur la table et décida qu'il valait mieux sortir au café pour prendre un thé. Au moins, elle ne serait pas celle qui devrait livrer bataille !