Dans chacun des extraits suivants, identifier l'origine sociale ou la personnalité des personnages d'après leurs paroles.
La paysanne commençait à comprendre. Elle demanda :
- Vous voulez nous prend'e Charlot ? Ah ben non, pour sûr.
Alors M. d'Hubières intervint :
- Ma femme s'est mal expliquée. Nous voulons l'adopter, mais il reviendra vous voir. S'il tourne bien, comme tout porte à le croire, il sera notre héritier. Si nous avions, par hasard, des enfants, il partagerait également avec eux. Mais s'il ne répondait pas à nos soins, nous lui donnerions, à sa majorité, une somme de vingt mille francs, qui sera immédiatement déposée en son nom chez un notaire. Et, comme on a aussi pensé à vous, on vous servira jusqu'à votre mort, une rente de cent francs par mois. Avez-vous bien compris ?
La fermière s'était levée, toute furieuse.
- Vous voulez que j'vous vendions Charlot ? Ah ! mais non ; c'est pas des choses qu'on d'mande à une mère çà ! Ah ! mais non ! Ce serait abomination.
(Guy de Maupassant, "Aux champs")
- Les deux personnages de l'extrait emploient des registres de langue différents.
- La paysanne, du fait de sa condition, n'utilise pas le français soutenu classique mais une parlure comme dans "Vous voulez nous prend'e Charlot". Son langage est familier.
- M. d'Hubières, du fait de sa position de noble, s'exprime élégamment. Son langage est soutenu.
M. d'Hubières s'exprime bien car il a reçu une bonne éducation, c'est un noble, alors que la paysanne parle familièrement.
Le petit Gavroche courut après eux et les aborda :
- Qu'est-ce que vous avez donc, moutards ?
- Nous ne savons pas où coucher, répondit l'aîné.
- C'est ça ? dit Gavroche. Voilà grand'chose. Est-ce qu'on pleure pour ça ? Sont-ils serins donc !
Et prenant, à travers sa supériorité un peu goguenarde, un accent d'autorité attendrie et de protection douce :
- Momacques, venez avec moi.
- Oui, monsieur, fit l'aîné.
Et les deux enfants le suivirent comme ils auraient suivi un archevêque. Ils avaient cessé de pleurer.
Gavroche leur fit monter la rue Saint-Antoine dans la direction de la Bastille.
Gavroche, tout en cheminant, jeta un coup d'œil indigné et rétrospectif à la boutique du barbier.
- Ça n'a pas de cœur, ce merlan-là, grommela-t-il. C'est un angliche.
(Victor Hugo, Les Misérables)
- Les personnages de l'extrait emploient des registres de langue différents.
- L'aîné des deux enfants s'exprime dans un registre courant et respectueux, en employant notamment le terme "monsieur" pour s'adresser à Gavroche.
- Gavroche quant à lui utilise des termes d'argot parisien tels que "Moutards" ou "Momacques" pour s'adresser aux enfants ou "Merlan" pour désigner "le coiffeur".
Gavroche est issu d'un milieu populaire, et les enfants d'une classe plus aisée que la sienne.
- Est-ce vrai que vous soyez réellement devenu fou, Ferdinand ? me demande-t-elle un jeudi.
- Je le suis ! avouai-je.
- Alors, ils vont vous soigner ici ?
- On ne soigne pas la peur, Lola.
- Vous avez donc peur tant que ça !
- Et plus que ça encore, Lola, si peur, voyez-vous, que si je meurs de ma mort à moi, plus tard, je ne veux surtout pas qu'on me brûle ! Je voudrais qu'on me laisse en terre, pourrir au cimetière, tranquillement, là, prêt à revivre peut-être... Sait-on jamais ! Tandis que si on me brûlait en cendres, Lola, comprenez-vous, ça serait fini, bien fini... Un squelette, malgré tout, ça ressemble encore un peu à un homme... C'est toujours plus prêt à revivre que des cendres... Des cendres c'est fini !... Qu'en dites-vous ?... Alors, n'est-ce pas, la guerre...
- Oh ! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes répugnant comme un rat...
- Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans... Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi... Je ne pleurniche pas dessus moi... Je la refuse tout net avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c'est eux qui ont tort et c'est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir.
(Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit)
- Les deux personnages mélangent les registres de langue.
- Ils se vouvoient, ce qui souligne le respect qu'ils ont l'un pour l'autre, et peut-être le fait qu'ils ne se connaissent pas encore bien.
- Lola utilise le subjonctif, marque d'un langage soutenu : "que vous soyez".
- Pourtant, on relève des erreurs de syntaxe, notamment chez Bardamu qui dit : "que si je meurs de ma mort à moi".
- Le vocabulaire est parfois familier : "pourrir", "pleurniche".
- Si Lola parle de façon moins familière que Bardamu, elle l'insulte tout de même, n'hésitant pas à utiliser des termes violents pour le décrire : "lâche", "rat", "répugnant".
Les deux personnages appartiennent à la même catégorie sociale. Ils se vouvoient, marque de respect, mais leur niveau de langue n'est pas toujours soutenu et les erreurs de syntaxe ainsi que le vocabulaire familier traduisent leur origine modeste.
C'est finalement Jérémy qui rétablit l'ordre naturel des choses en demandant :
- Dis voir, Ben, est-ce que tu pourrais me dire pourquoi cette saloperie de participe passé s'accorde avec ce connard de C.O.D. quand il placé avant cet enfoiré d'auxiliaire être ?
- "Avoir", Jérémy, devant l'auxiliaire "avoir".
- Si tu préfères. Théo est pas foutu de m'expliquer.
- Moi, la mécanique… fait Théo avec un geste évasif.
Et j'explique, j'explique la bonne vieille règle en déposant un paternel baiser sur chaque front.
- C'est que, voyez-vous, jadis, le participe s'accordait avec le C.O.D., que celui-ci fût placé avant ou après l'auxiliaire avoir. Mais les gens rataient si souvent l'accord quant il était placé après, que le législateur grammatical mua cette faute en règle. Voilà. C'est ainsi. Les langues évoluent dans le sens de la paresse. Oui, oui, déplorable.
(Daniel Pennac, Au bonheur des ogres)
- Les personnages s'expriment dans des niveaux de langue très différents.
- Jérémy emploie un registre très familier émaillé de très nombreux mots d'argot pour créer un effet comique. Par ailleurs, il demande, assez agressivement, d'avoir des éclaircissements sur une règle de grammaire ce qui renforce l'idée qu'il s'exprime dans un langage incorrect.
- Ben, qui lui explique patiemment et avec humour la règle, s'exprime dans un registre courant voire soutenu. Son langage est soigné et il montre sa maîtrise de la grammaire.
Ben est un lettré qui maîtrise le langage, alors que Jérémy s'exprime dans un français familier.
Plusieurs protestants étaient à table : les uns se plaignaient amèrement, d'autres frémissaient de colère, d'autres disaient en pleurant :
Nos dulcia linquimus arva,
Nos patriam fugimus.
L'Ingénu, qui ne savait pas le latin, se fit expliquer ces paroles, qui signifient : "nous abandonnons nos douces campagnes, nous fuyons notre patrie".
"Et pourquoi fuyez-vous votre patrie, messieurs ?
- C'est qu'on veut que nous reconnaissions le Pape.
- Et pourquoi ne le reconnaîtriez-vous pas ? Vous n'avez donc point de marraines que vous vouliez épouser ? Car on m'a dit que c'était lui qui en donnait la permission.
- Ah ! monsieur, ce pape dit qu'il est le maître du domaine des rois.
- Mais, messieurs, de quelle profession êtes-vous ?
- Monsieur, nous sommes pour la plupart des drapiers et des fabricants.
- Si votre pape dit qu'il est le maître de vos draps et de vos fabriques, vous faites très bien de ne le pas reconnaître ; mais pour les rois, c'est leur affaire ; de quoi vous mêlez-vous ?"
(Voltaire, L'Ingénu)
- L'Ingénu s'exprime par de nombreuses modalités interrogatives qui traduisent sa méconnaissance des usages du monde.
- Par ailleurs, il ne comprend pas les expressions utilisées par ses interlocuteurs, qu'il s'agisse des phrases en latin ou d'idées plus politiques comme le rôle du pape.
- Les protestants répondent à ses questions en utilisant principalement la première personne du pluriel "nous" : ils s'expriment d'une seule voix comme un groupe collectif sans personnage distinctif.
L'Ingénu apparaît comme un personnage naïf. Les protestants qui lui ressemblent répondent de façon didactique.
- Moi, déclara Zazie, je veux aller à l'école jusqu'à soixante-cinq ans. Je veux être institutrice.
- Pourquoi que tu veux l'être, institutrice?
- Pour faire chier les mômes. Je serai vache comme tout avec eux. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l'éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses.
- Tu sais, dit Gabriel avec calme, d'après ce que disent les journaux, c'est pas du tout dans ce sens là que s'oriente l'éducation moderne. C'est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension et la gentillesse.
(Raymond Queneau, Zazie dans le métro)
Pour s'essuyer le front, ils retirèrent leurs coiffures, que chacun posa près de soi ; et le petit homme aperçut, écrit dans le chapeau de son voisin : Bouvard ; pendant que celui-ci distinguait aisément dans la casquette du particulier en redingote le mot : Pécuchet.
- Tiens, dit-il, nous avons eu la même idée, celle d'inscrire notre nom dans nos couvre-chefs.
- Mon Dieu, oui, on pourrait prendre le mien à mon bureau !
- C'est comme moi, je suis employé.
Alors ils se considérèrent.
(Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet)
Cette nouvelle fit beaucoup rire Nana, mais d'un rire contraint.
- Ah ! il est avec Rose maintenant, dit-elle. Eh bien ! vous savez, Francis, je m'en fiche !… Voyez-vous, ce cafard ! Ça vous a pris des habitudes, ça ne peut pas jeûner seulement huit jours ! Et lui qui me jurait de ne plus avoir de femme après moi !
Au fond, elle enrageait.
- C'est mon reste, reprit-elle, un joli coco que Rose s'est payé là ! Oh ! je comprends, elle a voulu se venger de ce que je lui ai pris cette brute de Steiner… Comme c'est malin d'attirer chez soi un homme que j'ai flanqué dehors !
- Monsieur Mignon ne raconte pas les choses de la sorte, dit le coiffeur. D'après lui, c'est monsieur le comte qui vous aurait chassée… Oui, et d'une façon dégoûtante encore, avec son pied au derrière.
Du coup, Nana devint toute pâle.
- Hein ? quoi ? cria-t-elle, son pied au derrière ?… Elle est trop forte, celle-là ! Mais, mon petit, c'est moi qui l'ai jeté en bas de l'escalier, ce cocu ! car il est cocu ! tu dois savoir ça ; sa comtesse le fait cocu avec tout le monde, même avec cette fripouille de Fauchery… Et ce Mignon qui bat les trottoirs pour sa guenon de femme, dont personne ne veut, tant elle est maigre !… Quel sale monde ! quel sale monde !
(Émile Zola, Nana)
Puis elle avait d'étranges idées :
- Quand minuit sonnera, disait-elle, tu penseras à moi !
Et, s'il avouait n'y avoir point songé, c'étaient des reproches en abondance, et qui se terminaient toujours par l'éternel mot :
- M'aimes-tu ?
- Mais oui, je t'aime ! répondait-il.
- Beaucoup ?
- Certainement !
- Tu n'en as pas aimé d'autres, hein ?
- Crois-tu m'avoir pris vierge ? exclamait-il en riant.
Emma pleurait, et il s'efforçait de la consoler, enjolivant de calembours ses protestations.
- Oh ! c'est que je t'aime ! reprenait-elle, je t'aime à ne pouvoir me passer de toi, sais-tu bien ? J'ai quelquefois des envies de te revoir où toutes les colères de l'amour me déchirent. Je me demande : "Où est-il ? Peut-être il parle à d'autres femmes ? Elles lui sourient, il s'approche…" Oh ! non, n'est-ce pas, aucune ne te plaît ? Il y en a de plus belles ; mais, moi, je sais mieux aimer ! Je suis ta servante et ta concubine ! Tu es mon roi, mon idole ! tu es bon ! tu es beau ! tu es intelligent ! tu es fort !
Il s'était tant de fois entendu dire ces choses, qu'elles n'avaient pour lui rien d'original. Emma ressemblait à toutes les maîtresses.
(Gustave Flaubert, Madame Bovary)
SOPHIE : Allez, monsieur, allez, je ne vous empêche pas.
PAUL : Ah, bah ! Tu boudes sans savoir pourquoi. Au revoir, à dîner, mademoiselle grognon.
SOPHIE : Au revoir, monsieur malappris, maussade, désagréable, impertinent.
PAUL, fait un signe moqueur : Au revoir, douce, patiente, aimable Sophie !
(La Comtesse de Ségur, Les Malheurs de Sophie)