Métropole, 2008, voies technologiques
Après avoir lu un roman, un lecteur adresse un courrier au romancier pour lui reprocher la vision très pessimiste qu'il donne de la réalité. Quelques jours plus tard, il reçoit la réponse du romancier qui défend sa position. Rédigez successivement la lettre du lecteur et celle du romancier. Chacune des deux lettres ne dépassera pas trente lignes.
Par quoi termine-t-on toujours une lettre ?
Quel pronom personnel le lecteur doit-il utiliser pour s'adresser au romancier ?
Que reproche le lecteur au romancier ?
Qu'est-ce qui n'apparaît pas dans une lettre rédigée ?
Sur quelle tonalité la lettre rédigée par le lecteur doit-elle être écrite ?
Combien de lettres doivent être rédigées ?
Quelle personne est en général utilisée par l'émetteur d'une lettre ?
- Il faut rédiger deux lettres, une du lecteur mécontent de la vision pessimiste et une autre de l'auteur qui répond au lecteur.
- Il faut respecter le genre épistolaire (date d'écriture, lieu d'écriture, formules de politesse, signature et éventuellement un P.S.).
- Le style doit être soutenu.
- On attend deux thèses opposées. Le lecteur doit attaquer la vision pessimiste du romancier sur la réalité. Il doit donc défendre la réalité comme étant moins sombre que ce que l'auteur a décrit. Il est nécessaire d'avoir des arguments et des exemples. Le lecteur doit expliquer pourquoi il trouve que l'auteur a tort. Le romancier quant à lui doit défendre son œuvre. Il affirme donc que son livre n'est pas trop pessimiste, qu'il représente la réalité.
- Les deux lettres doivent être structurées. Elles doivent être polémiques puisqu'il y a un débat. On attend des connecteurs logiques, des verbes d'opinion et de jugement.
- Les deux personnages ne se connaissent pas. Le vouvoiement est donc nécessaire.
Le 18 septembre 2015, à Paris
Cher Monsieur,
Je vous écris après avoir terminé la lecture de votre roman. Je suis profondément outrée par votre vision de la réalité. Dans votre préface, vous prétendez être un descendant de Balzac, et vous affirmez que vous souhaitez donner un nouveau souffle au réalisme. Je sais que les romans de Balzac sont souvent sombres. Toutefois, je trouve votre ouvrage particulièrement noir. Vous ne faites jamais preuve d'ironie, vous n'essayez pas d'apporter un peu de lumière à vos personnages, non. Vous les entraînez, et vos lecteurs avec, dans un tourbillon glauque et nauséabond dont ils ne ressortent pas indemnes. Deux d'entre eux trouvent d'ailleurs la mort, et quelle mort ! Je me permets de vous assurer que la réalité n'est pas cela. Je ne dis pas que les sujets abordés dans votre roman n'existent pas. Je sais bien que la prostitution existe, que les meurtres existent, que la drogue existe. Mais votre réalité est bien trop sombre pour paraître réaliste.
Vous nous présentez donc un héros, Louis, qui tel un Bel-Ami moderne veut monter tout en haut de la société en utilisant les femmes. Mais là où Bel-Ami était un simple arriviste lâche, vous faites de votre héros un tueur en série. Il séduit des femmes qu'ensuite il maltraite, et pour satisfaire ses pulsions il viole et tue des prostituées étrangères que personne ne cherche à retrouver. Permettez-moi de vous dire que cela me semble déjà bien saugrenu, particulièrement quand un policier retrouve sa trace mais accepte de se taire s'il peut participer au prochain meurtre. Cela est parfaitement grotesque ! Vous avez une vision bien noire de l'âme humaine.
Non content de nous présenter un héros tueur, vous le faites monter tout en haut de la société, jusqu'à ce qu'il devienne président de la République ! Et on le voit prendre de la drogue avec des prostituées dans des soirées interminables, tout en paraissant être le meilleur des hommes pour le peuple. Il ment, il triche, il fait de la démagogie et arrive tout en haut, soit. Mais fallait-il qu'il soit un dangereux criminel obsédé par les femmes ? Croyez-vous vraiment qu'en démocratie, un tel homme puisse arriver au pouvoir sans jamais être mis à jour ? Votre réalité me paraît bien glauque et parfaitement irréaliste. Je veux bien admettre que des hommes politiques soient corrompus. Mais qu'un tueur en série psychopathe parvienne tout en haut de la société sans jamais être inquiété... Je crains fort que votre ouvrage ne soit pas digne de Zola ou Balzac... Certainement pas de Maupassant que faisait dire à un de ces personnages : "La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit." Sans doute devriez-vous méditer là-dessus et nous offrir la prochaine fois un ouvrage moins sombre.
Avec toutes mes respectueuses pensées,
Une lectrice fort outrée.
Le 25 septembre 2015, à Paris
Chère lectrice outragée,
Je me permets de répondre à votre lettre. Tout écrivain écrit pour un public, et si le public n'est pas content, il a, ma foi, le droit de le dire. Je vous remercie donc pour votre honnêteté. Je dois admettre avoir été fort prétentieux en me jugeant digne héritier de Balzac. Je me dois tout de même de défendre ma position. En effet, j'ai grossi les traits, mais même le chef de file du réalisme lui-même le ferait. La littérature, même quand elle prétend être le miroir de la réalité, déforme toujours, modifie, triche. S'il y a une chose que j'ai en commun avec ce grand auteur français qu'a été Balzac, c'est l'ironie. J'espère que vous n'êtes pas passée à côté. Je m'amuse, évidemment, en exagérant. Mais je ne crois pas que ma vision soit si pessimiste que cela. Il y a des hommes qui tiennent des pays dans certains coins du monde, et qui n'hésitent pas à faire massacrer leur peuple. Il y a des hommes politiques qui semblent étrangement échapper à la justice dès qu'il s'agit de corruption ou de harcèlement sexuel. On dit souvent que les hommes sont égaux devant la mort. Je ne le crois pas. Ils meurent, certes. Mais la mort de certains compte plus que d'autres. Par ailleurs, je crois en effet qu'un homme politique peut être admiré alors qu'il continue de mentir, alors qu'il trompe, alors qu'il est corrompu. Mon roman est très sombre, très noir. Mais je ne crois pas que les Illusions perdues soit un roman que l'on referme avec un grand sourire. Je pense en tout cas qu'il faut savoir accepter les critiques, et je vous remercie pour la vôtre. Non, je ne pense pas que demain, en France, un tueur en série deviendrait président. Mais la littérature reste la littérature, et la fiction peut rarement prétendre être "réaliste". Par contre, si l'espoir sans doute existe, la noirceur et l'injustice aussi, et c'est cela qui m'intéressait. Je crois avoir réussi à le montrer.
Bien à vous,
Monsieur Loiseau