On donne le texte suivant extrait de l'article "Questions sur l'Encyclopédie" de Voltaire :
Ainsi, selon ce beau philosophe, un voleur, un destructeur aurait été le bienfaiteur du genre humain ; et il aurait fallu punir un honnête homme qui aurait dit à ses enfants : "Imitons notre voisin, il a enclos son champ, les bêtes ne viendront plus le ravager ; son terrain deviendra plus fertile ; travaillons le nôtre comme il a travaillé le sien, il nous aidera et nous l'aiderons. Chaque famille cultivant son enclos, nous serons mieux nourris, plus sains, plus paisibles ; moins malheureux. Nous tâcherons d'établir une justice distributive qui consolera notre pauvre espèce, et nous vaudrons mieux que les renards et les fouines à qui cet extravagant veut nous faire ressembler."
Ce discours ne serait-il pas plus sensé et plus honnête que celui du fou sauvage qui voulait détruire le verger du bonhomme ? Quelle est donc l'espèce de philosophie qui fait dire des choses que le sens commun réprouve du fond de la Chine jusqu'au Canada ? N'est-ce pas celle d'un gueux qui voudrait que tous les riches fussent volés par les pauvres, afin de mieux établir l'union fraternelle entre les hommes ?
Quelle est la thèse défendue dans le texte ?
- L'auteur de l'article s'insurge contre la thèse égalitariste d'un autre philosophe (ici Rousseau) qui condamne la propriété privée et l'inégale répartition des richesses.
- Selon Voltaire, la propriété et ses lois ont permis l'ordre dans la société et les solutions proposées par Rousseau encourage l'anarchie, l'immoralité et le vol.
- La thèse de l'auteur peut être résumée par cette phrase : "Chaque famille cultivant son enclos, nous serons mieux nourris, plus sains, plus paisibles ; moins malheureux."
Selon Voltaire, les solutions proposées par Rousseau pour rétablir l'égalité entre les hommes sont dangereuses et malhonnêtes car elles encouragent le désordre et le vol.
Quels sont les arguments avancés par le texte ?
- En reprenant et paraphrasant les idées de Rousseau hors de leur contexte, Voltaire utilise un argument ad hominem qui lui permet de discréditer son adversaire.
- L'auteur utilise l'argument de l'honnêteté et du bonheur dont il se fait le défenseur contre Rousseau. Cet argument n'est pas développé de manière logique mais par une mise en situation au discours direct de "l'honnête homme" : l'idée est que la propriété garantit le bonheur et la paix contre les animaux et entre les hommes, et que la loi qui doit la réguler doit tenir d'une "justice distributive".
- Enfin, il utilise l'argument du sens commun universel et en appelle à l'exemple d'autres pays comme la Chine ou le Canada, sans développer ces exemples.
- Il utilise l'ironie ("ce beau philosophe") pour tourner la thèse de Rousseau en dérision : il finit par l'insulter en le traitant d'"extravagant", de "fou sauvage" et de "gueux". Il recourt par ailleurs au discours direct d'un hypothétique honnête homme pour illustrer son propos de manière vivante. Enfin, le dernier paragraphe, composé de questions rhétoriques, vise à pousser le lecteur à s'interroger, de manière orientée. Le registre est polémique.
L'auteur recourt à l'ironie, à l'insulte et au registre polémique pour appuyer son argument que la propriété est positive à condition d'être régulée par une justice distributive.