Métropole, 2011, voie S
Vous rédigerez un développement structuré, qui s'appuiera sur les textes du corpus, les romans que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles.
Un philosophe a déclaré qu'il avait beaucoup plus appris sur l'économie et la politique dans les romans de Balzac qu'en lisant les économistes et les historiens. Dans quelle mesure la lecture des romans permet-elle de connaître une période historique et une société ?
Texte A : Victor Hugo, Les Misérables, 4e partie, livre 12
1862
[Gavroche, un gamin de Paris, aide les insurgés qui construisent une barricade, au cours de l'émeute parisienne de juin 1832.]
Gavroche, complètement envolé et radieux, s'était chargé de la mise en train. Il allait, venait, montait, descendait, remontait, bruissait, étincelait. Il semblait être là pour l'encouragement de tous. Avait-il un aiguillon ? oui certes, sa misère ; avait-il des ailes ? oui certes, sa joie. Gavroche était un tourbillonnement. On le voyait sans cesse, on l'entendait toujours. Il remplissait l'air, étant partout à la fois. C'était une espèce d'ubiquité1 presque irritante ; pas d'arrêt possible avec lui. L'énorme barricade le sentait sur sa croupe. Il gênait les flâneurs, il excitait les paresseux, il ranimait les fatigués, il impatientait les pensifs, mettait les uns en gaieté, les autres en haleine, les autres en colère, tous en mouvement, piquait un étudiant, mordait un ouvrier ; se posait, s'arrêtait, repartait, volait au-dessus du tumulte et de l'effort, sautait de ceux-ci à ceux-là, murmurait, bourdonnait, et harcelait tout l'attelage ; mouche de l'immense Coche révolutionnaire.
Le mouvement perpétuel était dans ses petits bras et la clameur perpétuelle dans ses petits poumons :
- Hardi ! encore des pavés ! encore des tonneaux ! encore des machins ! où y en a-t-il ? Une hottée2 de plâtras pour me boucher ce trou-là. C'est tout petit votre barricade. Il faut que ça montre. Mettez-y tout, flanquez-y tout, fichez-y tout. Cassez la maison. Une barricade, c'est le thé de la mère Gibou3. Tenez, voilà une porte vitrée.
Ceci fit exclamer les travailleurs.
- Une porte vitrée ! Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse d'une porte vitrée, tubercule4 ?
- Hercules vous-mêmes ! riposta Gavroche. Une porte vitrée dans une barricade, c'est excellent. Ça n'empêche pas de l'attaquer, mais ça gêne pour la prendre. Vous n'avez donc jamais chipé des pommes par-dessus un mur où il y avait des culs de bouteilles ? Une porte vitrée, ça coupe les cors aux pieds de la garde nationale5 quand elle veut monter sur une barricade. Pardi ! le verre est traître. Ah ça, vous n'avez pas une imagination effrénée, mes camarades !
1 Capacité d'être dans plusieurs lieux à la fois
2 Contenu d'une hotte pleine
3 Boisson composée de beaucoup de mélanges
4 Racine qui est une réserve nutritive pour une plante ; ici, allusion à la petite taille de Gavroche
5 Soldats envoyés pour mater la révolte
Texte B : Gustave Flaubert, L'Éducation sentimentale, III, 1
1869
[Frédéric, le héros de L'Éducation sentimentale, assiste avec son ami Hussonnet au saccage du Palais des Tuileries, au cours de la Révolution de 1848.]
Tout à coup la "Marseillaise" retentit. Hussonnet et Frédéric se penchèrent sur la rampe. C'était le peuple. Il se précipita dans l'escalier, en secouant à flots vertigineux des têtes nues, des casques, des bonnets rouges, des baïonnettes et des épaules, si impétueusement, que des gens disparaissaient dans cette masse grouillante qui montait toujours, comme un fleuve refoulé par une marée d'équinoxe, avec un long mugissement, sous une impulsion irrésistible. En haut, elle se répandit, et le chant tomba.
On n'entendait plus que les piétinements de tous les souliers, avec le clapotement des voix. La foule inoffensive se contentait de regarder. Mais, de temps à autre, un coude trop à l'étroit enfonçait une vitre ; ou bien un vase, une statuette déroulait d'une console, par terre. Les boiseries pressées craquaient. Tous les visages étaient rouges ; la sueur en coulait à larges gouttes ; Hussonnet fit cette remarque :
- Les héros ne sentent pas bon !
- Ah ! vous êtes agaçant, reprit Frédéric.
Et poussés malgré eux, ils entrèrent dans un appartement où s'étendait, au plafond, un dais de velours rouge. Sur le trône, en dessous, était assis un prolétaire à barbe noire, la chemise entr'ouverte, l'air hilare et stupide comme un magot1. D'autres gravissaient l'estrade pour s'asseoir à sa place.
- Quel mythe ! dit Hussonnet. Voilà le peuple souverain !
Le fauteuil fut enlevé à bout de bras, et traversa toute la salle en se balançant.
- Saprelotte ! comme il chaloupe ! Le vaisseau de l'État est ballotté sur une mer orageuse ! Cancane-t-il2 ! Cancane-t-il !
On l'avait approché d'une fenêtre, et, au milieu des sifflets, on le lança.
- Pauvre vieux ! dit Hussonnet en le voyant tomber dans le jardin, où il fut repris vivement pour être promené ensuite jusqu'à la Bastille, et brûlé.
Alors, une joie frénétique éclata, comme si, à la place du trône, un avenir de bonheur illimité avait paru ; et le peuple, moins par vengeance que pour affirmer sa possession, brisa, lacéra les glaces et les rideaux, les lustres, les flambeaux, les tables, les chaises, les tabourets, tous les meubles, jusqu'à des albums de dessins, jusqu'à des corbeilles de tapisserie. Puisqu'on était victorieux, ne fallait-il pas s'amuser ! La canaille s'affubla ironiquement de dentelles et de cachemires. Des crépines3 d'or s'enroulèrent aux manches des blouses, des chapeaux à plumes d'autruche ornaient la tête des forgerons, des rubans de la Légion d'honneur firent des ceintures aux prostituées. Chacun satisfaisait son caprice ; les uns dansaient, d'autres buvaient. Dans la chambre de la reine, une femme lustrait ses bandeaux avec de la pommade ; derrière un paravent, deux amateurs jouaient aux cartes ; Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait son brûle-gueule4 accoudé sur un balcon ; et le délire redoublait au tintamarre continu des porcelaines brisées et des morceaux de cristal qui sonnaient, en rebondissant, comme des lames d'harmonica.
1 Singe ; figurine chinoise grotesque en porcelaine ; au sens figuré : homme très laid
2 Danse le cancan, une danse excentrique
3 Franges de tissu à fonction décorative
4 Pipe à tuyau très court
Texte C : Émile Zola, La Fortune des Rougon, chapitre I
1871
[Le coup d'État du 2 décembre 1851, organisé par Louis-Napoléon Bonaparte, a suscité en Provence des insurrections républicaines, notamment dans le département du Var. C'est cette révolte que décrit Zola au début de La Fortune des Rougon.]
La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien de plus terriblement grandiose que l'irruption de ces quelques milliers d'hommes dans la paix morte et glacée de l'horizon. La route, devenue torrent, roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s'épuiser ; toujours, au coude du chemin, se montraient de nouvelles masses noires, dont les chants enflaient de plus en plus la grande voix de cette tempête humaine. Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant. La "Marseillaise" emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses de cuivre, à tous les coins de la vallée. Et la campagne endormie s'éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi qu'un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu'aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes ardentes du chant national. Alors ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ; des bouts de l'horizon, des rochers lointains, des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets d'arbres, des moindres broussailles, semblèrent sortir des voix humaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière à Plassans, la cascade gigantesque sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune, étaient comme couverts par un peuple invisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au fond des creux de la Viorne1, le long des eaux rayées de mystérieux reflets d'étain fondu, il n'y avait pas de trou de ténèbres où des hommes cachés ne parussent reprendre chaque refrain avec une colère plus haute. La campagne, dans l'ébranlement de l'air et du sol, criait vengeance et liberté. Tant que la petite armée descendit la côte, le rugissement populaire roula ainsi par ondes sonores traversées de brusques éclats, secouant jusqu'aux pierres du chemin.
1 Rivière coulant près de la ville de Plassans
En quoi le texte de Victor Hugo donne-t-il des indications sur l'Histoire ?
Texte A : Victor Hugo, Les Misérables, 4e partie, livre 12
1862
[Gavroche, un gamin de Paris, aide les insurgés qui construisent une barricade, au cours de l'émeute parisienne de juin 1832.]
Gavroche, complètement envolé et radieux, s'était chargé de la mise en train. Il allait, venait, montait, descendait, remontait, bruissait, étincelait. Il semblait être là pour l'encouragement de tous. Avait-il un aiguillon ? oui certes, sa misère ; avait-il des ailes ? oui certes, sa joie. Gavroche était un tourbillonnement. On le voyait sans cesse, on l'entendait toujours. Il remplissait l'air, étant partout à la fois. C'était une espèce d'ubiquité1 presque irritante ; pas d'arrêt possible avec lui. L'énorme barricade le sentait sur sa croupe. Il gênait les flâneurs, il excitait les paresseux, il ranimait les fatigués, il impatientait les pensifs, mettait les uns en gaieté, les autres en haleine, les autres en colère, tous en mouvement piquait un étudiant, mordait un ouvrier ; se posait, s'arrêtait, repartait, volait au-dessus du tumulte et de l'effort, sautait de ceux-ci à ceux-là, murmurait, bourdonnait, et harcelait tout l'attelage ; mouche de l'immense Coche révolutionnaire.
Le mouvement perpétuel était dans ses petits bras et la clameur perpétuelle dans ses petits poumons :
- Hardi ! encore des pavés ! encore des tonneaux ! encore des machins ! où y en a-t-il ? Une hottée2 de plâtras pour me boucher ce trou-là. C'est tout petit votre barricade. Il faut que ça montre. Mettez-y tout, flanquez-y tout, fichez-y tout. Cassez la maison. Une barricade, c'est le thé de la mère Gibou3. Tenez, voilà une porte vitrée.
Ceci fit exclamer les travailleurs.
- Une porte vitrée ! Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse d'une porte vitrée, tubercule4 ?
- Hercules vous-mêmes ! riposta Gavroche. Une porte vitrée dans une barricade, c'est excellent. Ça n'empêche pas de l'attaquer, mais ça gêne pour la prendre. Vous n'avez donc jamais chipé des pommes par-dessus un mur où il y avait des culs de bouteilles ? Une porte vitrée, ça coupe les cors aux pieds de la garde nationale5 quand elle veut monter sur une barricade. Pardi ! le verre est traître. Ah ça, vous n'avez pas une imagination effrénée, mes camarades !
1 Capacité d'être dans plusieurs lieux à la fois
2 Contenu d'une hotte pleine
3 Boisson composée de beaucoup de mélanges
4 Racine qui est une réserve nutritive pour une plante ; ici, allusion à la petite taille de Gavroche
5 Soldats envoyés pour mater la révolte
Quel événement historique Victor Hugo met-il en scène dans le texte suivant ?
Texte A : Victor Hugo, Les Misérables, 4e partie, livre 12
1862
[Gavroche, un gamin de Paris, aide les insurgés qui construisent une barricade, au cours de l'émeute parisienne de juin 1832.]
Gavroche, complètement envolé et radieux, s'était chargé de la mise en train. Il allait, venait, montait, descendait, remontait, bruissait, étincelait. Il semblait être là pour l'encouragement de tous. Avait-il un aiguillon ? oui certes, sa misère ; avait-il des ailes ? oui certes, sa joie. Gavroche était un tourbillonnement. On le voyait sans cesse, on l'entendait toujours. Il remplissait l'air, étant partout à la fois. C'était une espèce d'ubiquité1 presque irritante ; pas d'arrêt possible avec lui. L'énorme barricade le sentait sur sa croupe. Il gênait les flâneurs, il excitait les paresseux, il ranimait les fatigués, il impatientait les pensifs, mettait les uns en gaieté, les autres en haleine, les autres en colère, tous en mouvement piquait un étudiant, mordait un ouvrier ; se posait, s'arrêtait, repartait, volait au-dessus du tumulte et de l'effort, sautait de ceux-ci à ceux-là, murmurait, bourdonnait, et harcelait tout l'attelage ; mouche de l'immense Coche révolutionnaire.
Le mouvement perpétuel était dans ses petits bras et la clameur perpétuelle dans ses petits poumons :
- Hardi ! encore des pavés ! encore des tonneaux ! encore des machins ! où y en a-t-il ? Une hottée2 de plâtras pour me boucher ce trou-là. C'est tout petit votre barricade. Il faut que ça montre. Mettez-y tout, flanquez-y tout, fichez-y tout. Cassez la maison. Une barricade, c'est le thé de la mère Gibou3. Tenez, voilà une porte vitrée.
Ceci fit exclamer les travailleurs.
- Une porte vitrée ! Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse d'une porte vitrée, tubercule4 ?
- Hercules vous-mêmes ! riposta Gavroche. Une porte vitrée dans une barricade, c'est excellent. Ça n'empêche pas de l'attaquer, mais ça gêne pour la prendre. Vous n'avez donc jamais chipé des pommes par-dessus un mur où il y avait des culs de bouteilles ? Une porte vitrée, ça coupe les cors aux pieds de la garde nationale5 quand elle veut monter sur une barricade. Pardi ! le verre est traître. Ah ça, vous n'avez pas une imagination effrénée, mes camarades !
1 Capacité d'être dans plusieurs lieux à la fois
2 Contenu d'une hotte pleine
3 Boisson composée de beaucoup de mélanges
4 Racine qui est une réserve nutritive pour une plante ; ici, allusion à la petite taille de Gavroche
5 Soldats envoyés pour mater la révolte
Parmi les romans suivants, lequel n'est pas inspiré de faits historiques ?
Quel est le point commun entre le personnage de Gavroche et le personnage de Frédéric, qui apparaissent respectivement dans Les Misérables et dans L'Éducation sentimentale ?
Texte A : Victor Hugo, Les Misérables, 4e partie, livre 12
1862
[Gavroche, un gamin de Paris, aide les insurgés qui construisent une barricade, au cours de l'émeute parisienne de juin 1832.]
Gavroche, complètement envolé et radieux, s'était chargé de la mise en train. Il allait, venait, montait, descendait, remontait, bruissait, étincelait. Il semblait être là pour l'encouragement de tous. Avait-il un aiguillon ? oui certes, sa misère ; avait-il des ailes ? oui certes, sa joie. Gavroche était un tourbillonnement. On le voyait sans cesse, on l'entendait toujours. Il remplissait l'air, étant partout à la fois. C'était une espèce d'ubiquité1 presque irritante ; pas d'arrêt possible avec lui. L'énorme barricade le sentait sur sa croupe. Il gênait les flâneurs, il excitait les paresseux, il ranimait les fatigués, il impatientait les pensifs, mettait les uns en gaieté, les autres en haleine, les autres en colère, tous en mouvement piquait un étudiant, mordait un ouvrier ; se posait, s'arrêtait, repartait, volait au-dessus du tumulte et de l'effort, sautait de ceux-ci à ceux-là, murmurait, bourdonnait, et harcelait tout l'attelage ; mouche de l'immense Coche révolutionnaire.
Le mouvement perpétuel était dans ses petits bras et la clameur perpétuelle dans ses petits poumons :
- Hardi ! encore des pavés ! encore des tonneaux ! encore des machins ! où y en a-t-il ? Une hottée2 de plâtras pour me boucher ce trou-là. C'est tout petit votre barricade. Il faut que ça montre. Mettez-y tout, flanquez-y tout, fichez-y tout. Cassez la maison. Une barricade, c'est le thé de la mère Gibou3. Tenez, voilà une porte vitrée.
Ceci fit exclamer les travailleurs.
- Une porte vitrée ! Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse d'une porte vitrée, tubercule4 ?
- Hercules vous-mêmes ! riposta Gavroche. Une porte vitrée dans une barricade, c'est excellent. Ça n'empêche pas de l'attaquer, mais ça gêne pour la prendre. Vous n'avez donc jamais chipé des pommes par-dessus un mur où il y avait des culs de bouteilles ? Une porte vitrée, ça coupe les cors aux pieds de la garde nationale5 quand elle veut monter sur une barricade. Pardi ! le verre est traître. Ah ça, vous n'avez pas une imagination effrénée, mes camarades !
1 Capacité d'être dans plusieurs lieux à la fois
2 Contenu d'une hotte pleine
3 Boisson composée de beaucoup de mélanges
4 Racine qui est une réserve nutritive pour une plante ; ici, allusion à la petite taille de Gavroche
5 Soldats envoyés pour mater la révolte
Texte B : Gustave Flaubert, L'Éducation sentimentale, III, 1
1869
[Frédéric, le héros de L'Éducation sentimentale, assiste avec son ami Hussonnet au saccage du Palais des Tuileries, au cours de la Révolution de 1848.]
Tout à coup la Marseillaise retentit. Hussonnet et Frédéric se penchèrent sur la rampe. C'était le peuple. Il se précipita dans l'escalier, en secouant à flots vertigineux des têtes nues, des casques, des bonnets rouges, des baïonnettes et des épaules, si impétueusement, que des gens disparaissaient dans cette masse grouillante qui montait toujours, comme un fleuve refoulé par une marée d'équinoxe, avec un long mugissement, sous une impulsion irrésistible. En haut, elle se répandit, et le chant tomba.
On n'entendait plus que les piétinements de tous les souliers, avec le clapotement des voix. La foule inoffensive se contentait de regarder. Mais, de temps à autre, un coude trop à l'étroit enfonçait une vitre ; ou bien un vase, une statuette déroulait d'une console, par terre. Les boiseries pressées craquaient. Tous les visages étaient rouges ; la sueur en coulait à larges gouttes ; Hussonnet fit cette remarque :
- "Les héros ne sentent pas bon !"
- "Ah ! vous êtes agaçant", reprit Frédéric.
Et poussés malgré eux, ils entrèrent dans un appartement où s'étendait, au plafond, un dais de velours rouge. Sur le trône, en dessous, était assis un prolétaire à barbe noire, la chemise entr'ouverte, l'air hilare et stupide comme un magot1. D'autres gravissaient l'estrade pour s'asseoir à sa place.
- "Quel mythe !" dit Hussonnet. "Voilà le peuple souverain !"
Le fauteuil fut enlevé à bout de bras, et traversa toute la salle en se balançant.
- "Saprelotte ! comme il chaloupe ! Le vaisseau de l'État est ballotté sur une mer orageuse ! Cancane-t-il2 ! Cancane-t-il !"
On l'avait approché d'une fenêtre, et, au milieu des sifflets, on le lança.
- "Pauvre vieux !" dit Hussonnet en le voyant tomber dans le jardin, où il fut repris vivement pour être promené ensuite jusqu'à la Bastille, et brûlé.
Alors, une joie frénétique éclata, comme si, à la place du trône, un avenir de bonheur illimité avait paru ; et le peuple, moins par vengeance que pour affirmer sa possession, brisa, lacéra les glaces et les rideaux, les lustres, les flambeaux, les tables, les chaises, les tabourets, tous les meubles, jusqu'à des albums de dessins, jusqu'à des corbeilles de tapisserie. Puisqu'on était victorieux, ne fallait-il pas s'amuser ! La canaille s'affubla ironiquement de dentelles et de cachemires. Des crépines3 d'or s'enroulèrent aux manches des blouses, des chapeaux à plumes d'autruche ornaient la tête des forgerons, des rubans de la Légion d'honneur firent des ceintures aux prostituées. Chacun satisfaisait son caprice ; les uns dansaient, d'autres buvaient. Dans la chambre de la reine, une femme lustrait ses bandeaux avec de la pommade ; derrière un paravent, deux amateurs jouaient aux cartes ; Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait son brûle-gueule4 accoudé sur un balcon ; et le délire redoublait au tintamarre continu des porcelaines brisées et des morceaux de cristal qui sonnaient, en rebondissant, comme des lames d'harmonica.
1 Singe ; figurine chinoise grotesque en porcelaine ; au sens figuré : homme très laid
2 Danse le cancan, une danse excentrique
3 Franges de tissu à fonction décorative
4 Pipe à tuyau très court
Quel plan répond à la question ?
Quels mouvements littéraires ont pour but de peindre le monde tel qu'il est ?
La littérature n'est pas un simple objet de divertissement. Au contraire, elle est faite de nombreux romans qui permettent au lecteur de se plonger dans une période historique passée. Certains écrivains peignent en effet de façon très précise leur époque et leur société. C'est le cas de nombreux auteurs du XIXe siècle, qui ont pour but de représenter le monde tel qu'il est. Dès lors, le roman devient une mine d'or pour les lecteurs désireux d'apprendre. En effet, se plonger dans La Princesse de Clèves, c'est découvrir comment les courtisans se conduisent à la cour du roi de France ; lire Les Liaisons dangereuses c'est découvrir le courant libertin ; dévorer Balzac c'est comprendre comment fonctionne chaque milieu social au XIXe siècle. Dès lors, on peut comprendre que certains estiment que la lecture des romans permet de connaître une période historique et une société.
Toutefois, il y a des limites à ce rôle du roman. En effet, l'Histoire ne prime jamais sur l'histoire dans une fiction. Les romanciers travaillent à créer l'illusion romanesque, et l'Histoire est plus souvent un outil pour les auteurs qu'un but en soi.
En quoi le roman permet-il d'instruire le lecteur sur des faits historiques et une société donnée ? Quelles autres utilisations les romanciers font-ils de l'Histoire ?
Dans une première partie, il sera montré en quoi la lecture des romans constitue un enseignement historique. Dans une seconde partie, le caractère fictif du roman sera analysé. Dans une dernière partie, il sera montré comment l'Histoire sert avant tout de support au romancier.
La lecture des romans : un enseignement historique
Faire revivre l'Histoire
- Le roman permet de rendre l'Histoire vivante grâce à différents outils littéraires. En effet, la description, la narration mais aussi les dialogues permettent d'insuffler de la vie dans des événements historiques qui paraissent autrement figés. Ainsi, dans L'Éducation sentimentale, Flaubert plonge le lecteur au cœur de la prise des Tuileries par le peuple en 1848. À force de détails (description des dégâts causés sur le mobilier, réflexion de Frédéric et son ami sur la situation, narration des actions entreprises par le peuple), il parvient à faire revivre au lecteur ce moment historique.
- Le roman devient ainsi un formidable outil pour faire revivre une époque lointaine. Dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo insiste plusieurs fois sur les différences entre le Paris de ses contemporains et celui du Moyen Âge. Il livre de nombreuses descriptions destinées à montrer les changements opérés, mais aussi à forcer le lecteur à imaginer une autre époque. Son but est très clairement de donner vie à l'époque médiévale.
Le roman, peinture de la société
- Le roman permet de peindre les mœurs de la société. Une réalité passée peut devenir très concrète grâce à un écrivain. Ainsi, dans La Princesse de Clèves, Madame de Lafayette décrit les mœurs de la cour de France avec précision. Elle montre quels sont les codes à suivre en présentant le parcours d'une jeune femme qui n'est pas préparée au jeu des courtisans. Elle insiste sur la superficialité des nobles et les médisances. Elle condamne aussi l'immoralité.
- Le roman permet de caractériser les milieux sociaux, leurs valeurs et leurs façons de vivre. Ainsi, Les Liaisons dangereuses met en scène les courtisans libertins, Madame Bovary s'intéresse à la bourgeoisie provinciale, Jean Vautrin raconte la vie des ouvriers dans Le Cri du peuple.
- Le roman permet aussi de peindre les liens entre les différents milieux de la société. Ainsi, dans Germinal, Zola met en scène les rapports entre la bourgeoisie, qui vit de façon très aisée, et les mineurs, qui sont exploités et connaissent la pauvreté et la misère. Au XIXe siècle, de nombreux romanciers dénoncent ainsi les injustices, comme Victor Hugo avec Les Misérables.
Le réalisme et le naturalisme
- Le mouvement réaliste et le mouvement naturaliste ont pour but de peindre la réalité, de ne pas présenter des personnages anoblis par la fiction. Les auteurs appartenant à ces courants littéraires revendiquent leur volonté de peindre le monde tel qu'il est, de représenter la société sous une lumière véritable. Ainsi, Balzac, chef de file du réalisme, affirme que son but est de "faire concurrence à l'état civil". Le roman serait alors un miroir de la réalité, ce que Stendhal laisse d'ailleurs entendre lorsqu'il écrit que le "roman est un miroir que l'on promène le long d'un chemin." Ces auteurs n'hésitent pas à mettre en scène des personnes de basse condition qui peuvent même être les héros de leurs romans. Zola écrit ainsi la vie de Gervaise dans L'Assommoir.
- Les auteurs réalistes et naturalistes procèdent souvent à des recherches documentaires poussées avant de se lancer dans l'écriture. Zola est allé étudier de près les mineurs pour rédiger Germinal, apprenant tout ce qu'il pouvait savoir sur le métier. Il a laissé derrière lui de nombreux carnets. Flaubert s'est renseigné sur la médecine et le droit pour écrire l'agonie d'Emma et ses problèmes financiers dans Madame Bovary.
Ainsi, le roman permet de faire revivre l'Histoire, en proposant des tableaux fidèles de la société et en se voulant le plus réaliste possible. Toutefois, le roman reste un projet fictionnel.
L'intérêt fictionnel du roman
L'importance de l'histoire
- Même s'il veut peindre la réalité, le romancier privilégie souvent l'histoire à l'Histoire. Ainsi, dans La Princesse de Clèves, c'est le parcours de Mlle de Chartres qui intéresse l'auteure et le lecteur. La psychologie de la jeune femme et sa lutte pour résister à la passion amoureuse sont au cœur du récit.
- Si Flaubert entend peindre sans idéalisme la bourgeoisie provinciale dans Madame Bovary, il n'empêche qu'il travaille longuement son récit et rédige plusieurs scénarios avant de commencer le manuscrit. Il revient plusieurs fois sur certains détails, change la suite des événements, modifie des éléments. Il construit sa fiction avec précision.
- De nombreux écrivains n'ont d'ailleurs que peu d'intérêt pour la réalité et ne cherchent guère à peindre leur société ou des faits historiques. Les romans de chevalerie ont pour but premier de distraire, et leurs auteurs multiplient les épisodes magiques, comme on le voit dans Lancelot ou le Chevalier de la charrette.
L'Histoire, un cadre
- On peut aussi rappeler que les écrivains peuvent utiliser l'Histoire comme un cadre pour leur récit, sans avoir en tête d'instruire le lecteur. Ainsi, dans L'Éducation sentimentale, Flaubert raconte le parcours initiatique de Frédéric. L'Histoire sert de toile de fond au roman. Les différents régimes politiques qui se succèdent au XIXe siècle rythment le récit, mais sont aussi le miroir des illusions et désillusions du héros.
- Certains auteurs choisissent des périodes historiques simplement pour distraire le lecteur ou le faire rêver. Alexandre Dumas plante ainsi le décor des Trois Mousquetaires dans la France de Louis XIII, et Stendhal propose un voyage exotique dans l'Antiquité avec Salammbô. Le but n'est pas de proposer une réflexion sur des événements historiques ou une peinture précise d'une société, mais de s'adresser à l'imagination du lecteur et de l'entraîner dans la fiction.
L'importance du point de vue
- Il est également important de rappeler qu'un roman est raconté d'un point de vue choisi par l'auteur. Certains écrivains se targuent d'être complètement neutres. C'est le cas de Flaubert qui assure que la présence de l'auteur n'est pas visible dans Madame Bovary. Toutefois, l'ironie qui pointe à chaque page et le regard critique que le narrateur porte sur ses personnages est bien celui de Flaubert.
- Il est nécessaire d'adopter un point de vue. Mais cela suppose qu'on nous raconte un événement avec une certaine sensibilité, celle du personnage, du narrateur ou de l'auteur lui-même. Maupassant critique l'arrivisme à travers Bel-Ami, c'est Bardamu qui trouve la guerre absurde dans Voyage au bout de la nuit, et c'est dans la tête de Jane que Charlotte Brontë place le lecteur dans Jane Eyre. Le roman est donc sujet à la subjectivité. En ce sens, la lecture d'un roman ne peut nous donner des informations sur une période historique ou une société qu'à travers les yeux d'un protagoniste ou d'un écrivain. C'est la fiction qui prend toujours le dessus.
Finalement, dans un roman, l'Histoire sert toujours l'histoire, elle est un support au roman, et certains auteurs prennent des libertés avec. Surtout, l'Histoire permet de créer l'illusion, mais également de critiquer une société ou une époque.
L'Histoire, un support au roman
La liberté romanesque
- Si les écrivains se rapportent à l'Histoire, ce n'est pas toujours pour la raconter avec précision. Ainsi, Alexandre Dumas dans Les Trois Mousquetaires prend de grandes libertés avec le règne de Louis XIII, la figure de la reine ou encore du cardinal Richelieu. Il s'inspire de personnes ayant réellement existé, mais les transforment pour servir son projet fictionnel. Le cardinal Richelieu devient alors le grand méchant de la petite histoire.
- Certains auteurs prétendent que leur récit est véridique, alors même qu'il a été inventé de toutes pièces. C'est le cas de Choderlos de Laclos qui, dans sa préface aux Liaisons dangereuses, assure avoir découvert les lettres qui constituent le roman.
- D'autres écrivains encore modifient des événements historiques pour qu'ils correspondent à leur projet littéraire. Ainsi, Madame de Lafayette change la date de certains événements, comme la mort de personnages historiques, pour les besoins du roman La Princesse de Clèves.
Créer l'illusion
- Le souci premier de l'écrivain étant la fiction, il utilise souvent l'Histoire pour donner l'impression de la réalité. Victor Hugo fait revivre l'époque médiévale dans Notre-Dame de Paris, en donnant de nombreux détails sur les bâtiments et sur la façon de vivre des gens, mais il invente complètement l'histoire de Quasimodo et d'Esméralda. Il crée l'illusion.
- De même, les auteurs qui peignent les mœurs ou les conditions de vie d'une société utilisent la réalité pour faire de la fiction et créer l'illusion. Zola peint les conditions réelles de vie des mineurs au XIXe siècle en France, mais il invente la famille Maheu et sa tragique destinée.
- Ainsi, les éléments "véridiques" sont incorporés à la fiction. Ils permettent de tromper le lecteur, de créer l'illusion. Ce que raconte l'auteur semble vrai, justement car certains éléments sont vrais.
Un moyen pour critiquer
- Enfin, le romancier peut donner son avis sur une période historique. Dans Voyage au bout de la nuit, Céline peint le XXe siècle comme le siècle de la violence absurde et destructrice, dénonçant la guerre, le colonialisme et la condition des ouvriers pauvres.
- L'auteur peut juger et critiquer sa société. Dans les romans qui constituent la saga des Rougon-Macquart, Zola condamne les inégalités du XIXe siècle. Il peint une société qui reproduit, génération après génération, les mêmes injustices.
On peut apprendre de nombreux éléments sur l'Histoire et découvrir comment fonctionnent les sociétés à différentes époques en lisant un roman. Que les auteurs choisissent ou non de représenter la réalité, ils sont influencés par leur époque, ils utilisent l'Histoire, de façon plus ou moins consciente, et permettent aux lecteurs de s'enrichir, d'apprendre, de découvrir. Lire Balzac, c'est en effet comprendre comment la politique et l'économie fonctionnent au XIXe siècle et expliquent la fortune du Père Goriot.
Mais il ne faut pas oublier que le roman a d'abord un but fictionnel. Si les romanciers ne voulaient qu'enseigner, ils écriraient des livres d'Histoire ou des essais sociologiques. La fiction peut servir à peindre la réalité, mais la réalité ne peut jamais apparaître complètement dans un roman. La petite histoire prend souvent le dessus sur la grande et, pour créer l'illusion, les écrivains peuvent transformer des événements historiques. Par ailleurs, c'est toujours un point de vue sur un fait historique ou sur une société qu'un romancier livre en rédigeant un roman.